Écrit par Eric Déguillaume

Le 24 juin 1947, l’entrepreneur Kenneth Arnold, originaire de Boise dans l’Idaho, déclencha une véritable tempête médiatique en rapportant l’observation, faite depuis son avion personnel, de neuf objets volants inconnus. Pour décrire leur mouvement atypique à deux journalistes de la presse locale, Arnold le compara le lendemain à celui de « soucoupes ricochant à la surface de l’eau ». Par la grâce de la déformation journalistique, les mystérieux objets devinrent des « soucoupes volantes », et la rencontre de Kenneth Arnold devint l’acte fondateur du phénomène OVNI dans son acception actuelle.

L’histoire se répandit à travers les États-Unis comme une traînée de poudre et en quelques jours, des centaines de personnes affirmèrent elles aussi avoir croisé le chemin de soucoupes volantes. La première des cinq vagues massives de témoignages qui allaient frapper les USA jusqu’en 1952 marqua un pic le soir du 4 juillet (les amateurs de SF apprécieront) et s’éteignit au début du mois suivant. En cette période marquée par la guerre froide naissante, la possibilité que les soucoupes volantes puissent être de nouveaux avions de combat mis au point par les Soviétiques poussa les militaires américains à s’intéresser à la question.

C’est dans ce contexte que survint le 7 janvier 1948 un événement resté célèbre dans les milieux ufologiques comme étant l’affaire Mantell ; elle allait initier la seconde vague nationale d’observation de soucoupes volantes. Ce cas fut longtemps considéré comme une preuve décisive de l’existence d’une intelligence extraterrestre se manifestant par les OVNI, et est encore souvent présenté de nos jours, par des auteurs parfois contradictoires les uns avec les autres, comme étant inexpliqué. Mais qu’en est-il réellement ? Examinons donc les faits et les allégations de chacun, tout en les resituant dans leur contexte.

Premières études

En septembre 1947, le National Security Act (Loi sur la Sécurité Nationale) fut ratifié par le Congrès des États-Unis. Cette loi réorganisait complètement l’appareil de défense américain, fusionnant en un seul Département de la Défense (Department of Defense, en abrégé DoD) les ministères de la Guerre et de la Marine, dont la traditionnelle rivalité avait posé de nombreux problèmes stratégiques pendant la Seconde Guerre Mondiale. Le nouveau Département de la Défense chapeautait désormais les trois armes : l’US Army (l’armée de terre), l’US Navy (la marine) et l’US Air Force (l’armée de l’air, en abrégé USAF). Pour cette dernière, c’était une situation inédite car elle était jusque-là placée sous la tutelle de l’armée de terre et donc dépourvue de commandement autonome[1].

Parmi les attributions de la toute jeune USAF, le morceau de choix était la défense de l’espace aérien américain. Il ne faisait alors pas de doute que l’explosion de la première bombe atomique soviétique n’était qu’une question de mois, et que tôt ou tard l’URSS serait capable d’atteindre le territoire américain avec ses bombardiers. La toute jeune USAF devait faire ses preuves et montrer qu’elle était capable de rendre le territoire national imperméable à toute attaque. Or les soucoupes volantes semblaient capables de déjouer la défense aérienne US. Ceci explique l’intérêt rapidement porté à celles-ci par l’USAF.

Par une instruction en date du 23 septembre 1947, le général Twining, chef du renseignement de l’Air Force, ordonna à l’ATIC (Air Technical Intelligence Center), sa branche technologique, d’enquêter sur les soucoupes volantes afin de déterminer si elles étaient réelles et, le cas échéant, s’il s’agissait de nouveaux avions soviétiques. L’ATIC mit aussitôt sur pied un programme de recherches (project dans sa terminologie) baptisé de manière informelle Saucer (soucoupe). Après quelques mois d’enquête, les officiers affectés au projet Saucer conclurent que les soucoupes étaient bien réelles : il y avait trop de témoins sérieux et sincères pour rejeter en bloc leurs récits. En revanche, les militaires acquirent la conviction que les soucoupes volantes n’étaient pas russes : même avec l’aide des scientifiques allemands capturés en 1945, l’URSS ne pouvait avoir accompli un tel bond en avant dans le domaine de l’ingénierie aéronautique.

Cette constatation fut bien sûr un soulagement pour l’état-major de l’USAF, mais elle n’identifiait pas les soucoupes volantes. Puisque celles-ci semblaient correspondre à une réalité physique, il devenait nécessaire de déterminer leur nature exacte. Le 30 décembre 1947, le projet Saucer fut donc rebaptisé Sign (signe) et devint officiellement un programme de recherches de l’ATIC, bien que son existence ne fût pas révélée publiquement. C’est vers cette époque que l’on commença à remplacer, dans les documents de l’ATIC, les expressions « soucoupe volante » et « disque volant » par l’acronyme standard UFO (Unidentified Flying Object) qui allait donner OVNI en français.

Et le tout nouveau projet Sign n’allait pas tarder à avoir du pain sur la planche et ce, dès les premiers jours de la nouvelle année…

OVNI à Fort Knox

Le 7 janvier 1948, peu après midi, les habitants de Madisonville, dans le Kentucky, ont la surprise d’observer dans le ciel un grand objet circulaire brillant. Le commissariat et la caserne de pompiers locaux sont vite débordés d’appels signalant le phénomène. Madisonville se situe à peu de distance de la célèbre et très protégée réserve fédérale de Fort Knox, où est entreposé l’or de la banque centrale américaine. Ce voisinage n’échappe pas à la sagacité des autorités locales, lesquelles s’inquiètent et finissent par alerter les militaires à 13 h 30. Dans l’intervalle, l’OVNI se déplace graduellement vers le sud, et on le signale à Irvington et Owensboro.

F-51 Mustang

Un quart d’heure plus tard, l’objet est aperçu à la verticale de la base aérienne de Godman, toute proche. Rapidement repéré par le personnel de l’aérodrome, il semble de couleur blanche parfois teintée de reflets rouges. Sa forme générale est celle d’une sphère, mais certains témoins le comparent à un cône de crème glacée. L’officier qui dirige la base, le colonel Guy Hix, monte dans la tour de contrôle à 14 h 20, et le suit à la jumelle alors qu’il continue à se déplacer, toujours en direction du sud. Hix rappelle aussitôt un vol d’entraînement de l’Air National Guard[2] du Kentucky, qui a décollé un peu plus tôt de Marietta, en Géorgie, pour le terrain de Standiford (Kentucky), pour lui demander si les appareils ont assez de carburant pour intercepter l’OVNI.

Le vol comprend quatre F-51 D Mustang[3] aux ordres d’un vétéran de la Seconde Guerre Mondiale, le capitaine Thomas Mantell. Ce dernier répond par l’affirmative. Il laisse un de ses trois ailiers, le lieutenant Hendricks, poursuivre sa route et emmène les deux autres, les lieutenants Clements et Hammond, avec lui en direction du sud. Le leader, bientôt suivi de ses deux ailiers, commence à grimper vers l’objet aussi vite que le permet la vitesse ascensionnelle de son avion. L’OVNI étant plus lent que son propre Mustang, Mantell grimpe en spirale. Le contact visuel est établi à 14 h 45, alors que les trois appareils se trouvent à 14.000 pieds (environ 4.200 mètres). L’objet est décrit par les pilotes comme étant au-dessus d’eux et volant à environ la moitié de leur vitesse. Ils continuent à le suivre pendant une demi-heure, grimpant toujours sans toutefois parvenir à l’atteindre.

Un laps de temps pendant lequel l’OVNI peut être observé à loisir. Mantell, mais également Clements, le décrivent par radio comme étant d’apparence métallique, ou plus précisément comme le reflet de la lumière sur une surface métallique ou une verrière transparente[4]. Mantell trouve l’objet énorme et estime son diamètre à 370 pieds (110 mètres). Les trois appareils arrivent alors à 22.000 pieds, soit 6.600 mètres, altitude très proche du plafond opérationnel du F-51, et où l’oxygène se fait rare. Ce qui n’est pas sans conséquences sur le rendement des moteurs et surtout sur l’organisme des pilotes. Or, le vol emmené par Mantell était initialement destiné à un exercice de navigation à basse altitude. Les réservoirs d’oxygène des avions n’avaient donc pas été remplis. Clements et Hammond le font observer à Mantell, et ce dernier autorise ses ailiers à se poser à Standiford pour les faire remplir. L’OVNI semble alors avoir pris de la vitesse, se déplaçant à une allure que Mantell juge à peu près équivalente à la sienne, de l’ordre de 350 nœuds – environ 650 km/h.

Le capitaine se retrouve alors seul en charge de la poursuite et annonce qu’il va grimper jusqu’à 25.000 pieds. Il se donne dix minutes pour rejoindre l’objet, après quoi il rentrera se poser à son tour. Il est 15 h 15, la tour de contrôle de Godman reçoit quelques messages inaudibles puis perd le contact radio. Le colonel Hix expédie deux de ses propres avions à sa recherche, en vain. De retour vers 16 h après leur ravitaillement en essence et en oxygène, Hammond et Clements n’auront pas davantage de chance. Dans le ciel clair du Kentucky, le capitaine Thomas Mantell a rencontré son destin.

Enquête sur un crash

Une heure plus tard, alors que l’objet a depuis longtemps cessé d’être visible depuis Godman mais a continué sa route vers le sud, au-dessus du Tennessee où l’on continue à le signaler, l’épave du Mustang n° 869 de la Garde Nationale Aérienne du Kentucky est localisée dans un bosquet à proximité de la ferme d’un certain Joe Philips, près de Franklin, à quelques 200 km de Godman. Il s’y est écrasé vers 15 h 30, Mme Philips elle-même ayant assisté à sa chute avant de prévenir les secours. Les os réduits en miettes, le cadavre de son pilote est toujours sanglé dans le cockpit. Mantell a payé sa témérité et sa curiosité de sa vie. Alors que sa dépouille est évacuée par les militaires, la presse locale se fait l’écho de la tragédie dans ses colonnes. Epilogue à cette après-midi : à la tombée de la nuit, plusieurs aérodromes du centre des USA repèrent un objet flamboyant au sud-ouest, ressemblant à celui vu plus tôt dans le Kentucky.

Cette information sera bientôt relayée par les journaux de l’ensemble du pays, car on ne tarde pas à apprendre que Mantell était à la poursuite d’un OVNI. Les imaginations s’enflamment aussitôt, et la nouvelle suscite un grand émoi dans le public. En dépit du fait que, si quelques témoins au sol ont suivi la chute finale du F-51, nul n’a pu observer la cause directe de l’accident, on ne tarde pas à soupçonner l’objet non identifié d’en être à l’origine. Certains va-t-en-guerre imaginent que « c’est un coup des Russes » justifiant les plus énergiques mesures de représailles. Mais l’opinion la plus répandue était que l’OVNI, un vaisseau spatial extraterrestre, aurait tout simplement abattu Mantell, parce que le pilote se serait approché d’un peu trop près ou aurait semblé menaçant.

Bien qu’apparemment farfelue et difficilement défendable, cette thèse est pourtant étayée par des récits et des détails douteux émanant de témoins de seconde ou troisième main, et relayés par une presse ô combien intéressée. D’aucuns affirment que le corps du pilote n’avait jamais été retrouvé[5], que Mantell était mort avant de toucher le sol, qu’une radioactivité anormale avait été relevée sur le site du crash. Il s’en trouve d’autres pour dire que les débris de l’appareil était dispersés sur des kilomètres carrés, qu’aucun n’était plus gros que le poing, ou encore que les restes de l’épave était criblés de petits trous énigmatiques[6]… Certains vont plus loin : ainsi de Richard Miller, opérateur radio à Scott AFB, Bellevue, Illinois, qui assura avoir suivi les communications radio entre Mantell et la tour de contrôle de Godman et l’avoir distinctement entendu s’écrier « mon Dieu, je vois des personnes dans cette chose ! ». Selon Miller, l’ATIC aurait saisi les enregistrements, excuse il est vrai bien commode pour justifier de l’absence de preuve, une caractéristique récurrente des affirmations que l’on vient d’énumérer.

Des allégations d’autant plus fragiles que l’enquête officielle va rapidement suggérer une toute autre vision de l’accident. On se souvient que le vol emmené par le capitaine Mantell était initialement destiné à un exercice à basse altitude et n’avait pas été pourvu en oxygène. Les enquêteurs supposent, au vu de l’absence de toute trace d’agression sur l’appareil, qu’arrivé à 25.000 pieds (7.500 mètres), Mantell a perdu connaissance par anoxie. L’étude des instruments permet ensuite de restituer les événements : l’appareil a continué à voler en ligne droite jusqu’à 30.000 pieds (9.000 mètres), où il s’est ensuite retrouvé en perte de vitesse et mis en piqué. Le pilote aurait repris connaissance au cours de la chute, car la position du manche et de la manette des gaz indique qu’il a tenté de relancer le moteur pour retrouver le contrôle de l’appareil. Une manœuvre désespérée effectuée à grande vitesse, sans doute à l’origine de la perte d’éléments de voilure et de la queue de l’avion – retrouvés plus loin – mais qui semble avoir partiellement fonctionné puisque l’état général de l’épave suggérait que le choc avec le sol avait été beaucoup moins violent qu’on pourrait l’attendre d’un appareil tombant en chute libre d’une altitude de neuf kilomètres. Ce fait semble corroboré par l’état du cadavre de Mantell, qui ne présentait pas de plaie ouverte ni d’effusion de sang, tout en ayant subis les graves dommages (fractures multiples, hémorragies internes) caractéristiques d’une décélération brutale. Sa montre s’était bloquée à 15 h 19. En un mot, victime de son sens du devoir et peut-être aussi d’un péché d’orgueil, Thomas Mantell était mort d’un banal accident qu’il aurait pourtant pu éviter.

Du rififi pour un OVNI

Mais si juste soit-elle, l’enquête officielle ne satisfait pas totalement un public avide de merveilleux et peu enclin à admettre qu’un héros de la Seconde Guerre mondiale se soit tué par imprudence[7]. Alimentée par les rumeurs dont il a été question plus haut, l’idée que Mantell ait été abattu par l’OVNI qu’il poursuivait l’est également par l’incertitude sur la nature même de l’objet en question. L’enquête initiale effectuée par le personnel de Sign affirma qu’il s’agissait tout simplement de la planète Vénus, une explication qui fut récusée par la majeure partie des témoins et notamment par le colonel Hix. L’opinion ne put guère admettre que des pilotes chevronnés et des personnels au sol de l’armée de l’air se soient laissés berner par un simple phénomène céleste en plein jour, alors même que ce type de méprise avec les astres est bien plus courant qu’on ne le pense[8]. Nombreux sont ceux qui ne crurent tout simplement pas à cette explication.

A tel point que quatre ans plus tard, alors que le projet Sign avait cessé de fonctionner depuis longtemps et que l’étude des OVNI incombait désormais au projet Blue Book, le cas Mantell était toujours considéré comme en suspens. Ceci motiva un complément d’enquête que rapportera en 1956 le capitaine Ed Ruppelt dans son livre The UFO Report (traduit en français Face aux soucoupes volantes), une source de premier choix quant à l’histoire du phénomène OVNI puisque Ruppelt n’était autre que le premier chef de Blue Book. Les faiblesses de la première explication parurent bientôt évidentes : si Vénus – contrairement à ce que certains détracteurs de l’USAF ont affirmé – était bien présente dans la région du ciel où fut observé l’OVNI du 7 janvier 1948, elle n’aurait eu guère plus que la taille angulaire d’une tête d’épingle et n’aurait pas pu être décrite par Mantell comme mesurant 110 mètres de diamètre.

Le personnel de Blue Book, au contraire, arriva à la conclusion que l’infortuné pilote avait pourchassé un ballon-sonde. La base de Clinton AFB, dans l’Ohio, abritait au début de 1948 un programme de recherche de la marine, destiné à étudier le rayonnement cosmique dans la haute atmosphère et mis en œuvre par d’énormes ballons gonflés à l’hélium et baptisés en code Skyhook. Le diamètre de ces objets spectaculaires dépasse les trente mètres, et bien qu’ils ne fussent déjà plus secrets en 1948, peu de pilotes avaient alors eu vent de leur existence.

Ballon Skyhook

Le ballon est sous-gonflé au moment du lancement pour éviter l’éclatement lorsqu’il atteint, en haute altitude, son volume maximum.

Et bien des détails dans les événements du 7 janvier 1948 concordent avec l’hypothèse du ballon Skyhook. Trajectoires et vitesses de l’OVNI ne sont pas incompatibles avec celles d’un ballon-sonde dérivant au gré du vent. Lâché le matin de Clinton, poussé par les vents dominants, le ballon a pu se trouver en début d’après-midi au-dessus de Madisonville, où les conditions atmosphériques plutôt favorables pour un mois de janvier le rendent visible depuis le sol. La couleur rouge vue à Godman peut s’expliquer par un reflet solaire quelconque – fait peut-être confirmé par l’observation de l’objet flamboyant signalé par d’autres bases aériennes au crépuscule. Les ballons Skyhook étant conçus pour voler à plusieurs dizaines de kilomètres d’altitude, il est parfaitement normal que les chasseurs, dont le plafond opérationnel est nettement inférieur, n’aient jamais réussi à grimper jusqu’à lui. Et poussé par les violents courants d’air qui règnent aux hautes altitudes – les jet streams – le ballon, très léger, pouvait tout à fait voler aussi vite que les Mustang lancés à sa poursuite, ou bien moins vite, en fonction des variations de la vitesse du vent. Quant à la taille alléguée de l’OVNI, bien supérieure à celle du ballon, il faut se souvenir que l’objet a été décrit par les pilotes comme la réflexion d’une surface métallique ou transparente… comme par exemple l’enveloppe, en plastique transparent, d’un ballon-sonde. Et il est bien connu en optique qu’un reflet paraît généralement beaucoup plus grand que l’objet dont il provient.

La légende ne veut pas mourir

Pour les membres du projet Blue Book, il devint évident que l’OVNI du 7 janvier 1948 était un ballon Skyhook. Mais cette explication comportait une lacune de taille : aucun document ne permettait d’affirmer qu’un Skyhook avait quitté Clinton AFB le jour du drame[9]. Une faille exploitée par ceux, peu convaincus par le « revirement » de l’USAF, qui se refusaient à croire que le capitaine Thomas Mantell avait trouvé la mort en poursuivant un reflet. La confusion fut entretenue par d’autres explications parallèles se voulant pourtant sceptiques et objectives, comme celle de Donald Menzel qui suggéra que les témoins avaient été abusés par un parhélie[10], c’est-à-dire un reflet du soleil à travers les cristaux de glace de la haute atmosphère créant littéralement l’image d’un deuxième soleil. Si bien qu’encore aujourd’hui, une majorité d’ufologues considèrent l’affaire Mantell comme un cas troublant, en dépit des évidences mises en lumière par la contre-enquête du projet Blue Book.

Les années passant, de nouveaux récits concernant la prétendue « étrangeté » du crash de 1948 sont venus enrichir l’argumentaire de ceux qui sont persuadés que Thomas Mantell a été tué par des extraterrestres. Le dernier en date émane d’un ancien officier de la base de Godman, le capitaine James Duesler, qui s’est souvenu avoir observé l’OVNI ce jour-là, puis avoir été chargé d’examiner l’épave du F-51. Il aurait trouvé le site et l’épave étrangement intacts, comme si l’avion était tombé tout droit et s’était écrasé à plat, sur le ventre, sans abîmer la végétation ni labourer le sol. Duesler affirma en outre que ses conclusions auraient été rejetées par ses supérieurs, et sa signature employée abusivement pour rédiger le rapport officiel sur l’accident. Seul inconvénient de ces « souvenirs » tardifs : ils ont été révélés en… 1997, près d’un demi-siècle après les faits !

Ranimée par ce genre d’allégations, la controverse n’est peut-être pas prête de s’éteindre, en dépit des preuves accumulées en faveur de l’hypothèse d’une méprise. Ne touche-t-elle pas un aspect fondamental du mythe des OVNI – au-delà de leur nature – à savoir le danger qu’ils pourraient représenter ? Mais si les spéculations passent, les faits restent. Contrairement à tant d’autres pilotes de chasse disparus en mission et qui demeureront à jamais anonymes, Thomas Mantell, capitaine de réserve de l’armée de l’air des États-Unis, mort à 25 ans dans un stupide accident alors qu’il poursuivait une illusion, a laissé son nom à la postérité.

Eric Déguillaume


 Notes :

[1] Cette loi entraîna accessoirement toute une réforme des désignations au sein de l’Air Force. Ainsi, les bases aériennes, précédemment appelées Army Air Field ou AAF, devinrent des Air Force Base (AFB), et certaines changèrent d’ailleurs de nom. Ce fut également le cas de certaines escadrilles. Pour les noms officiels des chasseurs, la lettre P (pour Pursuit) suivie d’un numéro fut remplacée par le F (pour Fighter) : c’est ainsi que le P-51 devint le F-51, bien qu’il s’agisse au boulon près du même avion. Ces changements sont volontiers déroutants pour quiconque s’intéresse aux premières années de l’étude des OVNI. (cf: Chronique de l’aviation)
[2] Garde Nationale Aérienne, la réserve de l’US Air Force. Chaque Etat a la sienne.
[3] Pour les amateurs d’aéronautique, le F-51 D est la première version du Mustang à recevoir une verrière en goutte d’eau, ce qui lui donne une apparence caractéristique le rendant facilement identifiable.
[4] Anecdote amusante, le lieutenant Hammond, pour sa part, n’est jamais parvenu à voir l’OVNI. Exaspéré, il finit même par s’écrier « bon sang, qu’est-ce qu’on cherche ?! ».
[5] Saluons ici le travail des médecins-légistes qui seraient ainsi parvenus à autopsier le cadavre de Mantell sans même l’avoir sous la main !
[6] Ce que l’examen des photographies de l’épave permet pourtant d’infirmer aisément.
[7] Pourtant, l’enquête avait été menée par le capitaine Tyler, ami personnel de Mantell, qui décrivit ce dernier comme un pilote de chasse agressif et téméraire.
[8] Ce que les travaux récents de chercheurs comme Eric Maillot soulignent avec évidence.
[9] En revanche, les ufologues américains B. Greenwood et R. Todd démontrèrent en 1994 qu’un Skyhook avait été lâché de Camp Ripley (Minnesota) à 8 heures du matin le 6 janvier 1948.
[10] Menzel est devenu célèbre pour avoir utilisé systématiquement cette explication pour la plupart des cas ufologiques diurnes qu’il étudiait, même lorsqu’elle ne cadrait pas avec les faits. Cette attitude causa énormément de tort à tous les chercheurs qui, à l’avenir, allaient expliquer des OVNI par des méprises avec des phénomènes astronomiques ou atmosphériques, encore aujourd’hui fréquemment accusés d’être des « debunkers » (démystificateurs) ou des « sceptiques bornés ».

Sources :

  • Pour l’histoire générale des premières années du phénomène OVNI aux USA, et la contre-enquête du projet Blue Book sur le cas Mantell :
    Edward RUPPELT, Face aux soucoupes volantes, 1956. Ce livre est accessible en ligne sur un certain nombre de sites. C’est une source de premier choix sur la période 1947-52.
  • Pour la réforme du système militaire américain et la création de l’US Air Force :
    Le site de l’US Air Force.
    Chronique de l’aviation, éditions Chronique, 1991.
  • Pour le déroulement des événements du 7 janvier 1948 :
    – Le site de Patrick Gross : http://www.ufologie.net/htm/mantell48f.htm.
    – Le site de Jérôme Beau : http://www.rr0.org/MantellThomas.html.
    Il s’agit des deux meilleurs sites francophones de ressources ufologiques, même s’ils ont leurs petits défauts : le premier est pro-OVNI, le second un peu brouillon, les deux abusent de la traduction automatique. Leurs résumés du cas Mantell comportent de nombreux liens et références auxquels je vous renvoie.
  • Pour les travaux d’Eric Maillot :
    – Le site du CZ : http://www.zetetique.org.
    – Le webzine Index : http://perso.wanadoo.fr/traiz/index.html.
    – Le site du CNEGU : http://membres.lycos.fr/cnegu/.
L’affaire Mantell, 7 janvier 1948