Écrit par Fabrice Neyret

Mercredi, 26 Octobre 2011 22:01

Cet article est paru dans notre newsletter n°70 en août 2011.

 

Le numéro de juillet de la lettre trimestrielle du GEMPPI « Découvertes sur les sectes et religions » nous livre un article poignant, surprenant, mais aussi très instructif : « Astrologie, art de la servitude volontaire. Une ex-astrologue témoigne ». L’article est long (onze pages) mais aussi vivant que précis, et je recommande vraiment sa lecture, tout en en tirant ici quelques extraits et analyses qui ne le remplacent en rien.

L’astrologie, l’auteure – Corinne Evanesse – l’a vraiment vécue à fond, pendant une douzaine d’années, dans un milieu « expert » comme « accompagnant » très enveloppant, et avec une technicité d’une complexité que je ne soupçonnais pas. Elle nous raconte son histoire et son parcours (que je ne reprendrai pas ici), et divers témoignages vécus précis et édifiants la concernant elle ou ses proches, mais nous livre aussi des clés sur ses propres mécanismes d’adhésion à l’époque, et sur comment mieux se comporter pour aider, plutôt qu’agir de façon contre-productive en croyant bien faire en bon « rationaliste ». Ce sont ces deux aspects que je vais essayer de synthétiser ici, tout en reprenant quelques points d’exemples qu’elle fournit sur la pratique et sur ses conséquences.

Dans ce qui suit, concernant les faits, points de théorie et de jugements, ce sont essentiellement ses affirmations que je reprends, et non les miennes (même si je complète parfois l’analyse sur la base de l’expérience zététique).

Actes induits et paradoxes

Parmi les cas qu’elle raconte, Corinne nous cite un homme – prof de maths – prévenu de la date de sa mort, « connaissance » qui l’a longtemps obsédé. Et pourtant, il aurait dû y déceler le problème logique : l’information aurait pu le conduire aux plus grandes imprudences dans la vie ou sur la route – puisqu’il n’y avait plus de « risque » létal – au risque d’y rester, justement ! Quid encore de la notion de destin persistant à sa révélation, si le funeste de la prédiction l’avait conduit au suicide précoce ? (fût-ce par défi).

Elle conte aussi cet homme qui a prévenu sa future femme qu’il « savait » que son mariage durerait douze ans, sans savoir trancher s’il se conclurait par sa mort ou son divorce. Et qui, le moment venu, préféra changer de femme, façon de mieux obéir aux astres tout en conjurant l’alternative plus grave.

Elle expose enfin le drame de l’astrologie médicale, qui entend prédire de quel mal on mourra et quand, et du non-diagnostic de cancer fatal que cela a conduit dans son entourage. Elle y ajoute comment le groupe a réagi pour « trouver des explications » ensuite. [1]

Côté paradoxes, le premier d’entre eux est celui même de connaître sa destinée, et ce que l’on compte faire de cette connaissance : connaître l’avenir ne conduit-il pas à le modifier, que ce soit par prophétie auto-réalisatrice (exemple du mariage ci-dessus), par excès de confiance (exemples du cancéreux et du « condamné à mort » ci-dessus) ou par tentative d’évitement bien inspirée ? Et au fond, pourquoi consulter les astres avant un choix, si de toutes façons le destin doit s’accomplir, puisqu’il est écrit ? Et si, comme dans la mythologie Grecque, le Destin « fait ses calculs » en prenant en compte son propre oracle, ne pas les consulter aurait-il pu éviter un sort tragique ? Ou le causer tout aussi bien, de sorte qu’autant vaille vivre dans l’insouciance que de s’acharner à éviter l’inévitable ?

En même temps, le destin semble inéluctable (même si sa lecture est mal aisée), mais la consultation semble basée sur l’espoir d’agir. Quelle est donc la « liberté du destin » en astrologie ? Corinne nous cite deux exemples surprenants : la « question horaire », où le thème astral dépend de l’heure précise de la question – le destin pourrait-il donc changer selon l’heure de la question ? – et la « révolution solaire de l’année »,  « thème d’anniversaire » censé dévoiler les prochains douze mois, mais qui dépend… du lieu où l’on se trouve lors de l’anniversaire ! (et que l’on peut donc optimiser : Corinne a dû partir à Hambourg pour le sien, afin d’éviter les fâcheux problèmes qui se seraient provoqués dans l’année si elle avait été en France lors de son anniversaire). Mais s’il s’agit d’une mancie (comme la voyance, les tarots ou le marc de café) et non d’une causalité (comme une séance d’envoûtement ou d’incantations), un autre lieu ou un autre horaire révèle peut-être d’autres éléments, mais en quoi annule-t-il les autres autres révélations ?

L’astrologie vécue comme une drogue psychique, et mécanismes confortants

Corinne évoque les problèmes d’adolescente, puis de vie, qui lui ont d’abord rendu indispensable l’accès aux « réponses » et au « sens » des choses – elle évoque d’ailleurs le fait que notre société technique et rationaliste a dangereusement éludé la réalité de ces questionnements et angoisses – puis peu à peu sont devenus un système enfermant que l’on consulte à tout moment, pour se rassurer ou pour arbitrer des moindres choses, créant une dépendance qui est largement appuyée par le fait que l’on a entre temps formé un réseau social confortant largement ces « réflexes » et approches explicatives, et qui lui au moins « vous comprend ».

Mais comment peut-on « y croire », sans voir la réalité contredire statistiquement les prédictions ? Rappelons que les prédictions sont codées et multiples, mais aussi très vagues. Ce qui fait que comme pour l’effet Barnum (ou effet puits) [2] des horoscopes ou des tests de personnalité, on apporte de soi-même un sens précis, tout en triant dans la prédiction les éléments à considérer, de sorte qu’on peut presque toujours trouver confirmation… a posteriori. D’autre part, comme le signe est « vrai » mais qu’« on peut se tromper dans l’interprétation délicate », ou que le praticien peut être « mauvais », il y a toujours moyens d’éviter la dissonance cognitive en cassant le thermomètre.

Du fait des paradoxes ci-dessus, la prédiction astrologique s’en sort toujours : soit elle se réalise (ne serait-ce que par hasard, ou par interprétation) et elle confirme sa pertinence, soit elle ne se réalise pas et prouve sa force pour déjouer le destin.

Par ailleurs, il y a toujours moyen de justifier a posteriori un échec de prédiction (par exemple de succès professionnel), soit par culpabilisation (gâcher son destin, c’est grave !), soit en trouvant par exemple que le « carré de son Mercure à Pluton » induit ce fâcheux négativisme qui vous pousse à contrecarrer votre destin. Et si cela persiste à ne pas se réaliser, peut-être qu’on trouvera qu’on est victime d’un « mauvais transit de Saturne ». En cherchant, on trouve toujours un élément « explicatif »… a posteriori.

Avec de multiples forces en présence, on peut toujours trouver que l’une ou l’autre a gagné : de l’anniversaire loin de France qui conjure, et du transit de Saturne qui sape, l’un comme l’autre peut gagner, et sera considéré a posteriori comme « la cause ». La théorie, elle, ne prévoyant aucun élément pour savoir trancher quelle force l’emportera (or a posteriori, on retrouvera toujours un élément oublié, surtout si on y ajoute le flou d’interprétation). Plus loin, chaque position planétaire correspond à de multiples analogies différentes. Corinne en détaille un exemple dans son texte.

Outre le fait que l’on peut toujours trouver dans le ciel une raison de s’inquiéter, ce qui entretient l’anxiété, le doute sur la bonne interprétation et sur la justesse de la difficile analyse maintient dans l’angoisse, suite à quoi la recherche effrénée de la bonne réponse expliquant l’erreur (a posteriori) renforce l’impression de puissance prédictive de l’astrologie tout en montrant aussi que l’on doit s’engager encore plus profondément dans cette « science » et sa pratique pour ne plus commettre de telles erreurs de lecture (c’est une spirale d’engagement). D’autre part, le sens ainsi « révélé » a posteriori à tous les évènements, des plus graves aux plus futiles, fusse un sens « caché » (c’est-à-dire une explication bien tordue), rassure sur le « bon ordre » des choses (alors que l’aléa et ses injustices sont angoissants), voire sur sa propre expertise par rapport au citoyen moyen. Corinne dit que « l’astrologie peut être considérée comme un support à fantasmes », et que « les croyances étant souvent la ruine de la raison, [elles] peuvent vous inciter à commettre des actes délirants ». Au final, « l’astrologie est une drogue et une servitude ; la dépendance rend difficile l’abandon de la pratique ».

Sur un plan plus « politique », Corinne s’est rendu compte à quel point les valeurs de l’astrologie reflétaient les conceptions, et notamment la misogynie, de l’époque de sa constitution : ce qui est masculin est positif, ce qui est féminin est négatif. Ajoutons que la notion de Karma notamment dans l’hindouisme enclin au non-agir et à ne pas même porter secours, car la destinée qui s’accomplit a été méritée dans une vie antérieure (voire, s’y opposer pourrait être mauvais). Plus près de nous, les différentes mancies, fût-ce au pendule, ont accès à des notions absolues de bien et de mal, supposant donc une nature intrinsèque et tranchée de la Morale, indépendamment des temps, des cultures, des aspects sociaux, ce qui est une posture ultra-conservatrice dont n’ont sans doute même pas conscience les « croyants ». De même que les chrétiens, pas rares parmi les « adeptes » de l’astrologie, n’ont apparemment pas conscience de l’incompatibilité profonde avec les fondements de leur religion. Ceci peut être parce qu’à la différence des croyances issues du New-Age, les aspects idéologiques, philosophiques ou spirituels sont relativement inexplicites dans ces croyances et pratiques plus anciennes.

Pourquoi les arguments « rationalistes » ne portent pas

Le tout premier point, c’est que mettre en cause frontalement les croyances de quelqu’un, sur lesquelles il a en partie fondé son identité, est vécu comme une agression, et de toutes façons une remise en cause bien supérieure à ce que la dissonance cognitive peut supporter : il lui sera alors bien moins coûteux de mettre l’argument sur le compte de la méchanceté ou de la méconnaissance plutôt que d’examiner l’argument en vue d’une possible mise à jour de ses propres arbitrages. Comme le dit Corinne, « [une personne] aura tendance à s’identifier à ses croyances, et à les défendre […] comme si sa vie en dépendait. Renoncer à une croyance équivaut à une forme de mutilation ». La discussion avec un croyant doit donc être un peu plus subtile, et prendre fortement en compte le caractère intime de l’adhésion.

Contrairement à ce qu’imagine les « non-croyants », l’astrologie ne met aucune causalité entre les astres et les évènements, aussi les arguments de type « sciences physiques » (effet gravitationnel minime, précession des équinoxes, etc.) tombent totalement à plat. Il s’agit (comme dans bien des sciences occultes, voire de pseudo-médecines) essentiellement de symbolique, d’un monde d’idées, où l’on trouve des « synchronicités », correspondances porteuses de sens entre des évènements : le monde – ou certains rituels – nous donne des signes, qu’il faut savoir lire pour avoir accès à certains éléments du destin, de façon plus ou moins claire. Il s’agit là de pensée magique, et non de physique, bien que le calcul et la technicité fassent illusion. De même que dans l’esprit du croyant, « interroger » au pendule la photo d’un disparu a du sens, car la photo est en quelques sorte « concrètement reliée à la personne dans le monde des idées », lien et monde symboliques sont vus comme « concrets, réels, opérationnels ».

Comment aider la personne à s’en sortir ?

Selon Corinne, il s’agit d’abord d’un problème de sevrage, et culpabiliser ou agresser de front est contre-productif, de même que penser que ça passera tout seul est illusoire. Elle ignore comment elle-même s’est « réveillée », mais elle en a constaté toutes les difficultés, jusqu’à la nécessité de modifier radicalement ses fréquentations : « un ex-alcoolique doit se séparer de ses compagnons de beuverie ».

Sa suggestion est de chercher à creuser avec la personne les raisons de ses angoisses, plutôt que se fixer sur le symptôme qu’est la dépendance aux arts divinatoires, et aussi de proposer des activités vivifiantes, qui puissent apporter de nouveaux ancrages plus positifs au sens. Et plus loin, que si d’aucuns cherchent dans des mirages des réponses aux questions de la vie, de la souffrance et de la mort, c’est peut être que la parole à leur sujet n’est pas assez facile dans notre société. Il s’agit donc moins de s’efforcer de convaincre frontalement le proche « adepte », que d’écouter, accompagner, et proposer des moments positifs échappant à ce carcan.

Quant aux personnes qui sont séduites ou s’interrogent sans être engagées à ce point, l’approche zététique sera sans doute plus facilement efficace : échec répété du caractère prédictif (matchs contre le hasard), démontage des biais (prédictions floues, biais de sélection, validations a posteriori), conséquences graves, paradoxes logiques…

Fabrice Neyret

Notes :

[1] : Avec même « l’appui » des médecines douces expliquant qu’il s’était donné son cancer de tristesse pour rejoindre sa compagne, la cible du cancer – les poumons – étant d’ailleurs reliée à l’émotion tristesse en médecine chinoise : l’œcuménisme permet de trouver toute « explication » ou lien nécessaire.
[2] : Effet Barnum : s’appuyant sur un ensemble de biais cognitifs, il s’illustre de façon spectaculaire dans la technique du cold reading qui « dévoile tellement d’informations précises et cachées sur votre vie que le voyant ne pouvait pas connaître »… et n’a en fait jamais dites !

L’astrologie vécue de l’intérieur