Smokin’ banana peels, nothin’ is real Mites are living in your eyelashes People are makin’ important deals They’re my fingernails and I’m keeping em Smokin’ banana peels, savin’ the seals (???) Up and down between your heels Dip your breasts in shimmering lip balm Talk to me about Elvis Take Elvis for walk and shut up The Dead Milkmen, « Smokin’ banana peels », 1988 |
C’est le dessert Que sert L’abominable homme des neiges À l’abominable enfant teenage Un amour de dessert BANANA NA NA NA NA BANANA SPLIT Lio, « Banana split », 1979 |
Dans la catégorie « fumeur », je suis classé parcimonieux régulier. Parcimonieux parce qu’une activité sportive assez grande se concilie mal au tabagisme. Régulier car je ne fume que le soir, mais tous les soirs, en général du tabac classique de Virginie ou du tabac à pipe. Bien entendu, ma consommation augmente lors des agapes populaires, restes d’une époque lycéenne où fumer était perçu comme un acte dissident : je fumais alors goulûment en cachette mes clopes roulées, en vertu du principe universel d’Archimec qui dit que tout corps plongé dans une situation embarrassante reçoit une pression sociale directement proportionnelle à la peur d’avoir l’air con. Vers mes 15 ans, je me prenais pour Aldous Huxley en écoutant les Doors, me léchais les doigts en me délectant de l’histoire de Albert Hofmann et de son acide lysergique absorbé par mégarde, et me voyait devenir Nagual avec la petite fumée de Carlos Castaneda[1].
Caricature de Baudelaire par lui-même se représentant sous l’influence du haschisch, 1844.
Mais si la tendance New Age à passer les portes de la perception me séduisait, j’ai toujours gardé un plaisir plus intellectuel que sensuel à évaluer sur moi les effets de substances psychotropes. Pour récréative qu’elle fut, ma consommation, assez irrégulière, de tels produits était surtout motivée par l’envie de grappiller un peu du vécu de gens rapportant illuminations, révélations ou expériences enthéogènes (c’est-à-dire qui donnent l’impression de rencontrer le « divin »). Restait à trouver le barycentre entre la peur inhérente aux essais, les contrôles anti-dopage en sport, les occasions faisant le larron et les cris de douleur de mon rachitique portefeuille – ces denrées étant, à l’exception notable de nos champêtres psilocybes, fort coûteuses.
Parmi les quelques substances que je fus amené à fumer, l’une d’entre elles a été l’objet de ma petite enquête : la terrible et tristement célèbre « peau de banane ».
Fumez la banane par les deux bouts
Si l’adolescence est une période influençable, la vie de jeune adulte l’est tout autant. J’en fis l’expérience le 13 juillet 1998, le lendemain de la finale de la coupe du monde de Football. J’étais parti en Finlande avec des amis coureurs, et quoique peu fans de football, nous avions passé la nuit à nous faire passer pour des cousins germains de Zidane et d’Emmanuel Petit, et à signer des autographes. Ce soir-là, mon ami de toujours, que je désignerai sous le nom de Djoudji pour protéger sa famille, nous annonça à l’ombre d’un quelconque sapin que pour nous reposer de cette gloire soudaine d’être cousins germains de Lizarazu, rien ne vaudrait… un petit joint à la banane. Bien sûr, claironna-t-il, car la fibre de banane déclenche un effet proche de celui du cannabis !
Devant cette hypothèse fichtrement fumeuse, alors que nous nous donnions contenance en riffougnant bêtement, Djoudji s’empara des quelques peaux à notre disposition et en un éclair racla quelques fibres des fonds de banane. Puis, à notre plus grand écoeurement, il amoncela une espèce de magma glaireux piqué de tabac dans deux feuilles à rouler, et commença à fumer. C’est anxieux que nous prîmes notre tour dans cette cène, nous passant le spliff d’un air faussement entendu, frisant l’apoplexie en tentant d’inhaler une improbable volute mais persuadés de vivre là un moment totalement mystique.
Le résultat ne se fit pas attendre, et fut consensuel : totalement nul.
Nous refîmes l’expérience avec cette fois les « lanières » de la banane, imaginant que la substance présumée efficace se logeait peut être plutôt dans ces fibres. Le résultat fut remarquable d’un point de vue scientifique : archi-nul.
Djoudji ne s’en remit jamais vraiment, et ne fume désormais plus que des Carpati, cigarettes roumaines qui feraient tousser même la dépouille de Serge Gainsbourg.
Quant à nous, hilares, nous vouâmes aux gémonies Djoudji, ses buzz et ses peaux de banane, et j’oubliai cette histoire pendant 8 ans.
… jusqu’à ce jour de mardi 10 octobre 2006. Sur la liste zététique[2], le célèbre Erik Maillot signe un entrefilet dans lequel est écrit :
« Trop fumer de la peau de banane séchée nuit gravement à la santé »
C’en est trop. Les nuages se déchirent et un halo bleuté vient du ciel me nimber, alors que je décrète que l’humanité n’attendrait pas un jour de plus pour savoir si, oui ou non, fumer de la peau de banane recèle de quelques autres propriétés récréatives que le ridicule de situation.
Qui dort (banana)dine
Alors ?
De fait, l’humanité n’attendra pas un jour de plus. Elle ne m’a pas attendue non plus, d’ailleurs. La bananadine est née d’un canular. En mars 1967, le Berkeley Barb, journal de contre-culture underground du campus de Berkeley, Californie, lança la rumeur de l’existence d’une substance contenue dans la banane et qui serait aussi puissante que l’opium et la psilocybine.
La rumeur prit dans les médias, et atteignit son acmé avec la publication d’une recette d’extraction de Musa Sapientum bananadine dans le célèbre livre « The Anarchist Cookbook » de William Powell, ainsi qu’un article dans le Time Magazine puis dans le New York Times[3]. Dès lors, comme quelques années auparavant pour les graines d’ipomées, (fleurs communes de la famille des convolvulacées dont les graines renferment un dérivé d’acide lysergique)[4], nombre de gens en mal de trip se ruèrent acheter des bananes dans les échoppes. Il fallut mandater la Food and Drug Administration pour trancher[5]. Et c’est le 19 avril 1967 que la FDA annonça, tristement que bien qu’ayant acheté 15 kg de bananes et leur ayant fait subir tout ce qui était prescrit dans les recettes, elle n’est pas parvenue à trouver des quantités décelables d’hallucinogènes connus[6]. Les pelures de banane ne sont donc pas « psychédéliques ».
Et six mois plus tard, Bozzetti, Goldsmith & Ungerleider closent le dossier en publiant dans le American Journal of Psychiatry un article intitulé « The great banana hoax », expliquant que « The recent practice of smoking dried banana scrapings to achieve a « psychedelic experience » led the authors to investigate the hallucinogenic properties of bananadine, or « mellow yellow. » They conclude that the « active ingredient » in bananadine is the psychic suggestibility of the user in the proper setting. »[7]
Ce qui signifie, en aveyronnais, que devant la pratique récente de fumer de la raclure de banane séchée pour vivre des « expériences psychédéliques », les auteurs de l’étude furent amenés à investiguer les propriétés hallucinogènes de la bananadine, ou mellow yellow (jaune suave) et conclurent que le seul ingrédient actif dans la bananadine est… la suggestibilité psychologique de l’expérimentateur.
FOOD AND DRUG ADMINISTRATION FOR RELEASE FRIDAY, MAY 26, 1967Was it all a hippie hoax? A laboratory apparaus « smoked » dried banana peels for more than three weeks and never did get high, the Food and Drug Administration reported today. « The Bureau of Science has made an analysis of the smoke obtained from several recipes for dried banana peel and concentrated banana juice, » the FDA said. « There were no detectable quantitieg of known hallucinogens in these materials. » The FDA began the laboratory test after its Bureau of Drug Abuse Control received reports that dried scrapings from banana peels were being smoked for their hallucinogenic effect. The FDA’s « smoklng machine » consisted of a series of tubes and retorts which trapped the smoke. The chemical components of the smoke were examined by ultraviolet and infrared spectrophotometric procedures. Small amounts of known hallucinogens were introduced during some tests to determine whather the substances could be detected in the smoke. The added hallucinogens were recovered and identified. But none was found in the tests of banana peels alone.Communiqué de la FDA, 26 mai 1967, source : Country Joe Site |
La bananadine bananée
L’équipe du Berkeley Barb, emmenée par le rédacteur Quill Max, n’a pas inventée l’histoire des pelures de banane fumées. D’aucuns pensent qu’ils furent inspirés par la chanson de Donovan Mellow yellow, qui disait en substance :
« Electrical banana is gonna be a sudden craze
Electrical Banana is bound to be the very next phase. »
sauf que pour la petite histoire Donovan, lui, avoue avoir puisé son inspiration d’un… vibromasseur en forme de banane, comme quoi la musique folk a des sources surprenantes[8].
Country Joe, lui, raconte la Banana Affair sur son site, dans une version un peu différente. Toutefois il précise qu’associant l’essai du joint de banane et un trip planant lors du concert du soir au Kitsilano Theatre[11], ils distribuèrent dès le lendemain près de 500 joints à la banane à leur public du Californie Hall, à San Francisco, en leur braillant « It’s banana, it gets you high. ». Comme quoi, derrière leur carapace de durs, les rockeurs sont placebo-sensibles.
En bref, le « canular bananadine » aura duré plus de 30 ans. Que les plus navrés se rassurent, les peaux contiennent une certaine quantité de typtophane qui, ingéré, augmente le taux de sérotonine et peut entraîner des changements d’humeur[12]. Elles contiennent aussi du toluène. S’ils trouvent suffisamment de copains pour manger un ou deux camions de bananes, peut être pourront-ils obtenir l’effet aussi planant que toxique qu’un sniff de colle à maquette.
Pour fêter ça, je vais aller tousser avec Djoudji une petite Carpati.
Richard Monvoisin, 14 octobre 2006
Notes
[1] Pour les curieux, voici la bibliographie qui accompagna mes premières cigarettes. Exclusivement franco-anglaise pour la littérature : pour les Anglais, Aldous Huxley, « Les Portes de la Perception », Samuel T. Coleridge, « The Rime of the Ancient Mariner » et Thomas de Quincey, « Confessions d’un mangeur d’opium » ; chez les écrivains français, notamment le club des Hashischins (de Nerval, Baudelaire) mais aussi Antonin Artaud et Henri Michaux. Je ne découvrirai les écrivains slaves comme Aguéev ou les américains de la Beat Generation que bien plus tard. Quant à la littérature Nouvel-Âge, médiocre sur un plan littéraire, me reviennent pêle-mêle Carlos Castaneda, Stanislas Grof, Timothy Leary et quelques autres.
[2] Liste de discussion publique de l’Observatoire zététique (anciennement).
[3] Powell William, « The Anarchist Cookbook », Ozark Pr, 1970. Une version en anglais est en ligne ici.
Louria Donald, « Cool Talk About Hot Drugs », The New York Times, 6 août 1967, p. 188 ; et « Tripping on Banana Peels », Time Magazine, 7 avril 1967, p. 52.
[4] Elles sont communément appelées Belles-de-jour (Morning Glory en anglais). Le principal composant psychoactif en est l’ergine (acide d-lysergique amide), mais on y trouve de nombreux autres principes actifs comme l’isoergine (acide d-isolysergique).
[5] F. Thompson F., « Recently Launched U. S. Food and Drug Administration Investigation of Banana Peel Smoking », Congressional Record, 19 avril 1967, p. h4363.
[6] « We took thirty pounds of bananas into the lab, cooked, scraped, and did everything else to them that the underground papers told us to do. But it was a put-on. » Propos d’un des auteurs, cité par John McMillan, « Electrical bananas, an epistemological inquiry into the great banana hoax of 1967 », The Believer, juin-juillet 2005, disponible ici.
[7] Louis J. R. Bozzetti Louis, Stephen Goldsmith et Thomas J. Ungerleider, « The Great Banana Hoax », American Journal of Psychiatry 124:678-679, novembre 1967.
[8] Il faut dire que Donovan fut un des promoteurs de la Méditation transcendantale de Maharishi (avec les Beatles, mais aussi Clint Eastwood ou David Lynch). Ça doit aider.
[9] Octobre 2005, dans le programme « Fresh Air » de la National Public Radio.
[10] Si vous avez vu le document de Woodstock 69, c’est Country Joe qui chante la Vietnam Song. Refrain :
« And its 1,2,3 what are we fightin for?
Don’t ask me I don’t give a dam, the next stop is Vietnam,
And its 5,6,7 open up the pearly gates.
Well there ain’t no time to wonder why…
WHOPEE we’re all gunna die. »
[11] Pour les puristes : ce soir-là, Country Joe & the Fish sont restés « bloqués » 45 minutes sur la chanson Not So Sweet Martha Lorraine. Pour une version scénique bien plus courte de cette chanson, cliquez ici.
[12] Lire sur ce sujet P. D. Leathwood, et P. Pollet, « Diet-induced mood changes in normal populations », J. Psychiat. Res., 1982, 17(2), p. 147-154 et E. L. Sainio, K. Pulkki et S. N. Young, « L-Tryptophan: biochemical, nutritional and pharmacological aspects », Amino Acids, 1996, 10, p. 21-47.