Écrit par Nicolas GAILLARD

Cet article est paru dans notre newsletter n°44 en février 2009.

Il est difficile d’échapper à la communication sur l’entraînement cérébral que proposent de nombreux jeux sur console, Internet ou portable. Vous connaissez sûrement : l’idée est de faire des petits exercices ludiques sur votre console pour stimuler votre cerveau et ainsi développer vos capacités intellectuelles. Ce sont des mini-jeux de mémoire, calcul mental, lecture ou d’observation. Issus de travaux des neurologues prestigieux, des psychologues réputés, et appuyés sur de nombreux arguments scientifiques, ces exercices prétendent pouvoir vous rendre plus intelligent, rien de moins ! Entre campagnes massives de pub, articles et bouche-à-oreille, ce concept semble maintenant bien installé et très populaire.

Mais voilà, c’était sans compter sur une équipe de chercheurs en science cognitive, curieuse de tester les allégations du plus connu de ces programmes : le « programme d’entraînement cérébral du Dr Kawashima : quel âge a votre cerveau ? » sorti en 2006.

L’élaboration de ce concept, le marketing qui l’entoure ainsi que la vérification de son efficacité sont un exemple de zététique appliquée.

Le programme

Le programme évalue d’abord l’âge de votre cerveau, par un test qui mesure la rapidité et la précision avec lesquelles vous effectuez quelques exercices simples (lecture à voix haute, calcul, mémorisation, etc.), en écrivant directement sur l’écran ou en parlant dans le micro.

Boum : votre cerveau a 80 ans d’âge cérébral ! Vous commencez alors l’entraînement quotidien de quelques minutes, et bientôt « vous penserez et réagirez plus rapidement » ! Vos scores font alors baisser ou augmenter l’âge de votre cerveau.

      

L’argument d’autorité

Les prétentions du programme sont annoncées : « Maintenez votre cerveau en forme avec le Programme d’Entraînement Cérébral du Dr Kawashima : quel âge a votre cerveau ? Inspiré des théories du Dr Ryuta Kawashima, neuroscientifique japonais, le PEC est une compilation d’exercices quotidiens simples qui stimulent le cerveau et le maintiennent en forme. »1 Les programmes sont inspirés des exercices développés par le neurologue Ryuta Kawashima, qui compare l’entraînement du cerveau aux exercices physiques pour tenir la forme. Le Dr Kawashima s’appuie sur ses observations en imagerie cérébrale. Il a sélectionné des séries d’activités qui sont supposées entraîner une forte activation de la région préfrontale, siège notamment de la créativité et de la mémoire. Selon lui, les activités et les jeux conventionnels, sur papier par exemple, n’activent pas de façon aussi importante le cortex préfrontal.

Mais c’est moins ses recherches (du reste peu publiées et plutôt critiquables) que son image et son titre qui sont mis en valeur par le jeu. Sa tête est d’ailleurs modélisée, son nom, son titre et des images de cerveau apparaissent absolument partout : illustration de l’argument d’autorité.

Vérification

« Aucun effet positif notable sur les capacité de raisonnement ou de mémoire. » c’est la conclusion de l’étude menée par Lorant-Royer et ses collègues sur l’efficacité du programme par rapport à des activités plus classiques.

Ils résument les deux expériences présentées pour tester deux méthodes : la « Gym cerveau » (voir plus bas), et « l’Entraînement cérébral du Dr Kawashima ». L’expérience 1 compare, chez des élèves de 6e et de 5e, un entraînement aux exercices de la « Gym cerveau » pendant cinq semaines, à une condition ludique (jeux type « Mickey jeux ») et à une condition Devoirs. Aucun effet n’est observé entre un pré-test et un post-test, portant sur des épreuves de type scolaire. L’expérience 2 compare, cette fois, quatre groupes d’élèves de CM1 : deux bénéficiant d’un entraînement, pendant sept semaines, à un jeu vidéo, « l’Entraînement cérébral » de Kawashima ou la « Cérébrale académie », un troisième groupe s’entraîne à des jeux papier-crayon et un quatrième est un groupe contrôle. Un pré-test et un post-test sont utilisés avec trois épreuves de type scolaire, trois tests cognitifs (issus du WISC-IV pour les connaisseurs) et des questionnaires de motivation. Aucune progression n’est statistiquement significative pour les épreuves scolaires. Pour les tests cognitifs, les jeux vidéo permettent une légère progression de 20% pour la mémoire des chiffres et les symboles, mais ne font pas mieux que les jeux papier-crayon ou le groupe contrôle. On n’observe pas d’augmentation de la motivation intrinsèque mais une baisse du score d’autodétermination pour « l’Entraînement cérébral ».

En conclusion, « l’Entraînement cérébral » n’a que deux effets modestes (20%) sur les six tests, comparables à d’autres jeux (ou le groupe contrôle) et doit être considéré comme une simple distraction2.

Canard de bain

Comme le petit animal en plastique jaune, qui, quoi que l’on fasse pour le couler, remonte inlassablement à la surface, l’idée de méthodes de gymnastique mentale n’est pas récente. Comme le montre ces 2 exemples de méthodes qui visent à entretenir et développer les facultés intellectuelles… en toute inefficacité.

Dans les années 70, un pédagogue israélien, Reuven Feuerstein élabore le Programme d’enrichissement instrumental (PEI). Des petits exercices de raisonnement et d’abstraction. Malgré l’engouement et la popularité du PEI (encore aujourd’hui), les expérimentations de Even Loarer et ses collègues sur le PEI ont indiquées une très faible efficacité. En 1990, C’est la neurophysiologiste française Monique Le Poncin qui publie les premiers livres de « Gym cerveau», méthode, selon elle, de réactivation des zones endormies du cerveau. Encore une fois l’efficacité n’est pas au rendez-vous comme l’expérience de Lorant-Royer décrite plus haut le confirme.

C’est en fait une erreur de conception du fondement même d’intelligence. Ces méthodes envisagent l’intelligence comme une capacité stricte de raisonnement : celui-ci doit alors être entraîner. Mais les mécanismes d’apprentissage, ou de mémorisation sont très simplistes dans ces méthodes. Les exercices sont trop spécifiques pour prétendre à une finalité aussi démesurée que le développement de l’intelligence. Pas étonnant que ces méthodes n’offrent que peu d’efficacité lors d’expérience3. Au mieux cela tient d’un bais d’habituation, c’est-à-dire un effet d’adaptation au cadre des exercices. Ce qui est en réalité développé c’est l’efficacité de réponse à cet exercice uniquement par habituation.

Pseudo-science et vrai marketing

Désormais, c’est le marketing qui se saisi de l’entraînement des capacités cognitives, domaine de recherche de la psychologie cognitive jusqu’à présent, avec cette dernière comme argument commercial fort.

La prétention du programme du Dr Kawashima est d’indiquer l’âge du cerveau et de le faire rajeunir. L’âge cérébral fait ainsi appel aux peurs populaires concernant la dégénérescence des facultés intellectuelles, le vieillissement, et profite entre autre de la médiatisation croissante de la maladie d’Alzheimer et d’autres causes de sénilité. Ces logiciels s’adressent à un public inquiet par le spectre du déclin ou attiré par l’illusion d’efficience facilement abordable, en 5mn par jour.

Mais c’est d’abord un concept commercial, le « casual gaming », qui permet d’attirer vers les jeux vidéo un nouveau public qui jusqu’alors ne jouait pas ou très peu, quitte à utiliser des arguments pseudo-scientifiques comme force de vente. Une longue liste de ces jeux sont disponibles et souvent rangés par les développeurs dans la catégorie « Santé et forme physique »: gym des yeux, lecture efficace, etc…

Comme les appareils d’éléctro-stimulation qui restent au fond du placard au bout d’une semaine, ces jeux offrent l’illusion d’une possibilité de modification de notre efficience : quasiment un super pouvoir à porté de main !

Mais comme les produits de régimes miracle inefficaces (voir POZ n° 42) ou encore les instruments de gym : il faut en réalité quand même transpirer !

Du côté de l’intelligence, S. Lorant-Royer et A. Lieury préconisent d’enrichir le plus possible nos connaissances et par tous les moyens disponibles pour stimuler nos capacités intellectuelles. Trois règles : apprendre, se cultiver et mémoriser ! (auxquelles je me permets de rajouter « s’amuser » c’est quand même plus sympa !)

Nicolas Gaillard

Notes :

1 site Internet de Nintendo®

2 Lorant-Royer (Sonia), Spiess (Veronika), Goncalves (Julien), Lieury (Alain), (2008). Programmes d’entraînement cérébral et performances cognitives : efficacité, motivation… ou « marketing » ? De la Gym-Cerveau au programme du Dr Kawashima, Bulletin de psychologie, Tome 61 (6), n°498, p. 531-549.

3 À lire pour compléter : S. Lorant-Royer et A. Lieury, L’entraînement cérébral : une imposture intellectuelle » Cerveau & Psycho, Pour la Science, bimestriel, n° 31, janvier/février 09.

Boostez vos neurones !