Gourous, sorciers et savants

Henri Broch
Odile Jacob
211 pages  – 20,30 euros

Dans « Gourous, sorciers et savants », on retrouve les thèmes de prédilection :du professeur Henri Broch : le suaire de Turin, le sang de Saint Janvier, l’astrologie. Mais cette nouvelle leçon de zététique appliquée aborde également de nouveaux sujets sous l’angle de l’expérimentation, en particulier le Chi des moines Shaolins et la myo-télékinésie. Encore une fois, Henri Broch nous montre qu’il est possible, grâce à la méthode scientifique, d’étudier ces phénomènes prétendus mystérieux et parfois même de les expliquer. Cet ouvrage pédagogique tiendra en haleine ceux qui attendent la parution des comptes-rendus des fameux « prix-défi » auxquels il est souvent fait allusion.

Le sommaire détaillé de l’ouvrage et quelques corrections de l’auteur sont disponibles sur le site du laboratoire de zététique.


Citation


« On n’a pas besoin de croire en la gravitation pour en observer les effets ; […] même un sceptique doit pouvoir assister à la valse des tables ou aux torsions de cuillères. » « Il est du devoir des scientifiques d’analyser et de disséquer ces formes d’obscurantisme [le surnaturel et le paranormal, NDA] pour que les hommes conservent leur liberté. »


Interview de l’auteur


Observatoire zététique – La première question que l’on nous pose, est invariablement : « qu’est ce que la zététique ? ». Quelle est votre propre définition ?

Henri Broch – Pour moi la réponse est : l’Art du Doute.

« Zététique : méthode dont on se sert pour pénétrer la raison des choses » (É. Littré, 1872)

Enseignée dès l’Antiquité, la zététique est en fait le refus de toute affirmation dogmatique et le flambeau est ici repris en tant qu’approche scientifique rigoureuse des phénomènes dits paranormaux.

« Zététique : se dit des méthodes de recherches scientifiques : méthode zététique » (P. Larousse, 1876)

OZ – Le terme zététique est très ancien mais n’était plus très usité jusqu’à ce que vous le repreniez dans les années 1980. Comment l’avez-vous retrouvé ? pourquoi l’avez vous repris ?

HB – Effectivement très ancien, le terme zététique se trouve dans le Dictionnaire des Arts et des Sciences de Thomas Corneille datant de 1694 et ce n’était certainement pas sa première occurrence.

Ce terme n’est évidemment pas… « la version francisée d’un adjectif anglais » comme l’écrit textuellement mais plus qu’un peu ridiculement un professeur de philosophie manifestement pas très amoureux de la sagesse ni de la vérité !

Comment je l’ai retrouvé ?… Je ne me rappelle pas de l’avoir jamais perdu. Pour avoir été dans ma toute jeunesse un champion au Diamino – un jeu qui ne dit peut-être plus rien aux nouvelles générations – les zée, zeste, zététique, zeugma et autres zézaiements ou zibelines de tous les dictionnaires, même petits, me sont des compagnons de route depuis plus de quatre décennies.

J’ai repris ce terme tout simplement parce qu’étant très peu usité il n’avait aucune connotation négative. De plus, son sens étant peu connu, il pousse les gens au questionnement : Qu’est-ce que c’est…?

OZ – Quelle(s) différence(s) faites-vous entre le scepticisme et la zététique ?

HB – La belle définition de Pierre Larousse dans son Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle me semble devoir être rappelée par quelques extraits :

« Le nom de zététiques, qui signifie chercheurs, indique une nuance assez originale du scepticisme : c’est le scepticisme provisoire, c’est presque l’idée de Descartes considérant le doute comme un moyen, non comme une fin, comme un procédé préliminaire, non comme un résultat définitif. »

Autrement dit la zététique considère le doute comme un procédé, une pratique, un Art d’après la propre définition du mot art qui est « l’ensemble des moyens, des procédés, des règles intéressant une activité, une profession », acception presque malheureusement oubliée de nos jours.

« Si tous les sceptiques avaient été réellement zététiques et seulement zététiques, ils auraient dit avec Pyrrhon : nous arrivons non au doute, mais à la suspension du jugement (…) sceptiques signifie littéralement examinateurs, gens qui pèsent, réfléchissent, étudient attentivement ; mais il a pris à la longue un sens plus négatif que dubitatif, et a signifié ceux qui sous prétexte d’examiner toujours ne décident jamais. (…) le mot zététiques n’est pas fait pour trancher le débat entre les deux acceptions de tous ces termes (…) Le nom de zététiques est resté, d’ailleurs, dans l’enceinte de l’école qui l’a créé ; et, malgré sa très large extension, qui eût permis d’en faire le terme général désignant tous les chercheurs de la vérité dans tous les domaines, il est exclusivement appliqué aux sceptiques, et on peut même dire aux sceptiques grecs ou pyrrhoniens. »

Fasse Prométhée (et les nouvelles générations), qu’à plus d’un siècle d’intervalle, soit réalisé le souhait de Pierre Larousse ; souhait informulé mais si transparent quand il regrettait dans sa dernière phrase ci-dessus que le terme zététiques soit restreint, non par le sens mais par l’usage, aux sceptiques seuls alors qu’il pourrait légitimement être le « terme général désignant tous les chercheurs de la vérité dans tous les domaines ».

Encore un peu d’efforts et, avec cette acception largement diffusée, nous rendrons ainsi hommage à ce précurseur.

OZ – Votre dernier livre reprend des sujets déjà traités dans vos ouvrages précédents (Suaire de Turin, Sang de St Janvier, pyramide de Falicon etc.). Quels nouveaux thèmes avez vous ajoutés ?

HB – Tout d’abord, un point important : les sujets déjà traités pour partie dans des écrits précédents le sont ici sous une forme et une approche différentes et avec des… nouveautés, même sur des sujets devenus presque des « classiques ». Exemple avec le « suaire de Turin » : on oubliait un peu trop que le « saint suaire » est un objet volé, cela est précisé clairement ; une explication détaillée est donnée de la mystification du contenu 3-dimensions, le soi-disant relief d’un corps obtenu par les chercheurs Jackson, Jumper et Ercoline ; un scoop : la simplissime explication du curieux espace entre les deux images, ventrale et dorsale, du Christ avec mon hypothèse du hissage du « suaire », Corpus Christi… Autant de choses dont j’ai quelquefois parlé dans des conférences, des colloques ou des cours, mais que je n’avais pas eu le temps de mettre simplement par écrit. C’est fait.

Pour les nouveaux thèmes, cela va des mouvements inconscients que tout un chacun « subit », radiesthésistes et sourciers inclus évidemment, des prétendus pouvoirs des moines Shaolins pratiquant le kung-fu, de la force du Ki et autres mystères des arts martiaux jusqu’au contrôle que l’on peut faire sur les tables qui tournent ou les verres spirites (oui-ja), l’explication de vases miraculeux, la mesure du fluide vital avec la roue d’Egely et autres rotations mystérieuses ou encore les curieuses cartes de l’Institut américain de parapsychologie de J. B. Rhine,… Et d’autres choses que je laisse découvrir aux futurs lecteurs de « Gourous, sorciers et savants », comme le véritable pouvoir de myo-télékinésie et l’expérience simple que tout le monde peut faire pour vérifier ce pouvoir…

OZ – Vous donnez des cours de zététique depuis plus de vingt ans à l’université de Nice, voyez vous une évolution ?

HB – Plus de vingt ans ? Je prends un sacré coup de vieux… Les cours de zététique à l’Université de Nice existent en fait depuis 13 ans. Il est très difficile de voir et de mesurer l’évolution de ces cours car trop de réformes universitaires ont plusieurs fois chamboulé l’ensemble des enseignements et donc ceux de zététique également (passant d’enseignements optionnels à enseignements obligatoires puis retour à optionnels, changement des dominantes couvertes, etc.).

L’évolution est plutôt à voir dans l’essaimage qui a commencé à se faire il y a déjà quelques années maintenant avec des enseignements de zététique, par exemple, dans une école d’ingénieurs à Fontainebleau, à l’université Joseph Fourier de Grenoble (félicitation aux magiciens d’OZ), à l’École Polytechnique supérieure de Dakar,…

Les résultats d’un enseignement de ce type se mesurent à l’échelle d’une ou de plusieurs décennies et commencent à s’observer à peine maintenant.

OZ – Comptez vous un jour publier une synthèse des « prix-défi » ?

HB – C’est mon ami Jacques Theodor qui, depuis quelque temps, s’est lancé dans la rédaction d’une synthèse des candidatures que nous avons eues pour le Prix-défi et je lui laisse donc le plaisir, dans une future interview, de vous parler de son travail.

Pour avoir une idée déjà un peu précise des tests que nous avons menés pendant les quinze années qu’a duré le prix-défi, les personnes intéressées peuvent se reporter justement à « Gourous, sorciers et savants » qui en parle dans la partie « Soyez extralucide » sur une petite vingtaine de pages et surtout détaille, à titre d’exemple destiné à être généralisé, le protocole précis adopté pour tester une voyante qui affirmait pouvoir dire le passé, le présent et l’avenir d’une personne face à elle ou dont nous lui procurerions la photo et la date de naissance.

OZ – Quelle forme prend, selon vous, le « paranormal » aujourd’hui ?

HB – Le « paranormal » n’a pas changé de forme ; sous le vocable un peu passe-partout de « paranormal » se cache en fait une entité multiforme et cela depuis longtemps ; ce que j’essaie d’expliquer dans mon nouveau livre à travers le fil conducteur de la démarche zététique, c’est que le « paranormal », le « surnaturel », c’est l’enfermement dans un cercle rigide de pensée et que ce prisme déformant la vision du monde forme le lit du fanatisme, de tous les fanatismes.

Le problème peut-être le plus prégnant à l’heure actuelle est le fait que le mode d’argumentation (et/ou de non-argumentation) utilisé dans les pseudo-sciences a malheureusement tendance à se répandre et a ainsi des conséquences non négligeables aussi bien dans notre vie de tous les jours que sur les problèmes généraux qui sont posés à l’humanité. De voir débattre de problèmes de société (par exemple de problèmes de déchets, de pollution de diverses origines, de réchauffement climatique…) avec des arguments moyenâgeux que de serviles zélateurs médiatiques s’empressent de répandre a vraiment de quoi vous donner la chair de poule.

Dans un tel contexte, la raison – qui n’est pas quelque chose d’inné mais une conquête, fragile, de l’homme – cède souvent la place à la sensation. Et il est relativement bien connu des physiologistes amateurs que nous sommes tous que les tripes ont une réflexion nettement moins poussée que l’encéphale.

 

Henri Broch – Gourous, sorciers et savants