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[Martin Harris, botaniste, directeur du laboratoire de biogénétique à l’université de Yale] : « […] un tribunal du Wisconsin, dans une affaire d’assassinat, a jugé recevable le témoignage des plantes. […] Il y a eu un crime dans une serre. Aucun témoin, trois suspects possibles. J’ai proposé au juge de brancher mes électrodes sur les hortensias, et on a fait défiler devant eux douze personnes l’une après l’autre, parmi lesquelles les trois suspects. Brusquement, l’aiguille du galvanomètre s’est emballée, en présence du frère de la victime. Non pas que les plantes aient déclenché un signal électrique pour aider la justice, elles s’en foutent, mais les deux hommes s’étaient battus dans la serre, il y avait eu des tiges cassées et l’agresseur réveillait le traumatisme, déclenchait le système d’alerte électrochimique d’un hortensia à l’autre. Sous le choc, l’assassin est passé aux aveux. »
Science-fiction ? Pas tout à fait… Cet extrait est tiré du roman de Didier Van Cauwelaert « Hors de moi » paru en 2003 (Albin Michel) mais s’inspire des travaux de recherche de Cleve Backster sur la perception primaire des plantes.
En 1966, branchant les capteurs d’un polygraphe (détecteur de mensonges) sur une plante verte de son bureau, Cleve Backster remarqua que la réponse du végétal ressemblait étrangement à celle qu’il aurait obtenue si le sujet avait été humain. Cela signifiait-il que les plantes éprouvent, elles aussi, des émotions ?

La découverte

Cleve Backster est souvent présenté comme un spécialiste du détecteur de mensonges, un policier retraité, un agent de la CIA, un formateur aux techniques du polygraphe ou – mais plus rarement – comme un psychologue ou un chercheur autodidacte. Seule la fonction de « policier » (policeman) semble l’avoir dérangé puisqu’il y a apporté un démenti clair sur son site web [1].
En 1966, Backster venait de quitter la CIA pour une école de New York, où il devait former des policiers à l’utilisation du détecteur de mensonges. Il n’avait alors aucune formation particulière en botanique ou en biologie. Rien ne le prédisposait donc à la « découverte » qu’il allait faire.
À chaque fois qu’il raconte son histoire, Cleve Backster aime insister sur le fait que sa vie a fondamentalement changé le 2 février 1966, 13 minutes et 55 secondes exactement après le début d’une expérience qu’il menait ce jour-là par simple curiosité [2].
Pour mesurer la vitesse d’absorption de l’eau après l’arrosage d’une plante de son bureau, un dracéna (dracaena massangeana), il plaça sur une feuille de celui-ci les capteurs d’un polygraphe. Cet appareil était à l’époque couramment utilisé par la police pour mesurer la variation de résistance de la peau, le rythme cardiaque, la respiration, etc., d’un suspect lors d’un interrogatoire. Ces paramètres, que l’on supposait corrélés à l’anxiété du sujet, devaient permettre une évaluation de la véracité de ses propos [3].
Avec la fonction psychogalvanique du polygraphe (mesure de la résistance de la peau), Backster pensait pouvoir mesurer une diminution de la résistance de la feuille correspondant à l’augmentation de sa teneur en eau suite à l’arrosage. Mais la résistance de la feuille ne diminua pas : elle augmenta.
Cependant, en regardant la courbe obtenue, il lui trouva une certaine ressemblance avec les diagrammes qu’il avait l’habitude de voir lorsque le sujet est humain. Intrigué, il décida de faire subir à la plante une « agression » en portant atteinte à son « bien-être » afin d’enregistrer sa réaction, comme lors d’un véritable interrogatoire. Il plongea donc une des feuilles du dracéna dans une tasse de café brûlant. Mais l’aiguille du polygraphe ne bougea pas. Backster imagina alors une attaque plus violente et décida de brûler la feuille supportant les électrodes.
Selon lui, c’est au moment précis de cette décision, lorsque cette pensée lui a traversé l’esprit, soit 13 minutes 55 secondes après le début de l’expérience que le stylet de la table traçante relié aux capteurs du polygraphe s’affola. N’ayant ni bougé, ni parlé, ni eu de contact physique avec la plante ou les instruments, il conclut de la simultanéité de sa pensée et du mouvement du stylet que seule cette image mentale pouvait avoir stimulé la feuille et que celle-ci venait donc de percevoir l’intention mettant sa survie en péril.
À cet instant, Backster n’envisageait donc plus que l’eau ajoutée quelques minutes auparavant au pied de la plante ait tout simplement fini par atteindre la feuille… ni même qu’un autre phénomène naturel ait pu perturber le stylet. Il était alors convaincu d’avoir fait la première observation mettant en évidence une capacité de perception chez les plantes, sans aucun support physique ou chimique.


Extrait du diagramme enregistré le 2 février 1966 par Cleve Backster en branchant un polygraphe sur le dracéna de son bureau, d’après Backster (1968).

La preuve expérimentale ?

Pour confirmer sa première intuition, Cleve Backster multiplia les tests avec d’autres végétaux en essayant de mieux comprendre la nature de leur perception. Il inféra en particulier que les plantes étaient très sensibles à leur environnement et pouvaient réagir à la mort d’autres cellules vivantes, comme des bactéries. Se servant de ce stimulus, pour une expérience scientifique, il émit les hypothèses suivantes : « […] il existe une perception primaire chez les plantes encore inconnue, […] la mort d’un animal peut être utilisée comme stimulus pour mettre cette perception en évidence et […] cette faculté des plantes est indépendante de toute intervention humaine » [4].
Il établit ensuite un protocole expérimental plus sophistiqué pour tester la validité de ces hypothèses. Celui-ci consistait à plonger des crevettes Artemia dans de l’eau bouillante, de manière automatisée et à intervalles aléatoires, en enregistrant la réaction de trois philodendron cordatum, instrumentés indépendamment et placés dans trois salles de son laboratoire.


« Ébouillanteur de crevettes »


Configuration du laboratoire, d’après Backster (1968).

La durée de chaque expérience était découpée en six intervalles de 25 secondes. Au début de l’un d’entre eux, choisi par un générateur aléatoire, les crevettes étaient plongées dans l’eau bouillante. L’expérience était entièrement automatisée, c’est-à-dire que ni Cleve Backster, ni aucun de ses collaborateurs ne savaient à quel moment les crevettes étaient ébouillantées. Ils n’étaient d’ailleurs pas présents dans le laboratoire au moment de l’expérience.
En effet, Backster s’était aperçu que la plus brève relation avec les plantes, quelques heures avant l’expérience, pouvait suffire à établir un lien entre elles et l’expérimentateur, si bien qu’elles pouvaient ne plus réagir à la mort des crevettes mais aux émotions du chercheur même très éloigné du lieu de l’expérience [5]. Backster prit donc la précaution de faire acheter les plantes par une tierce personne et de les faire installer au dernier moment dans le laboratoire. Il estimait que ne connaissant pas les lieux, elles réagiraient d’autant mieux au stimulus imposé [6].
Sept expériences furent réalisées lors de deux sessions, avec trois plantes. Au total, 21 diagrammes ont donc été enregistrés. Mais huit d’entre eux furent éliminés pour différents critères, établis selon Backster avant le test : problème mécanique lors du recentrage du stylet du polygraphe, hyperactivité de la plante sur les deux tiers du diagramme ou absence de réaction sur toute la durée de l’expérience.
Le traitement des résultats fut réalisé en aveugle : en examinant les diagrammes correspondant à chaque expérience, Backster et ses deux collaborateurs pointèrent le ou les intervalles dans lesquels ils observaient une réaction de la plante (variation significative de la résistance de la feuille) sans savoir à quel moment les crevettes avaient été plongées dans l’eau bouillante. Les diagrammes étaient ensuite comparés à l’enregistrement du générateur aléatoire afin de vérifier une éventuelle simultanéité entre la mort des crevettes et la réaction des plantes. Leurs résultats sont présentés dans le tableau ci-dessous. Le signe + indique une réaction de la plante, le signe – l’absence de réaction. L’intervalle de temps contenant l’ « ébouillantage » des crevettes est figuré en rouge.

A B C D E F
Session 1 Expérience 1 Plante 1 +
Plante 2 Hyperactivité
Plante 3 +
Expérience 2 Plante 1 +
Plante 2 Aucune réaction apparente
Plante 3 + +
Expérience 3 Plante 1 + +
Plante 2 +
Plante 3 Problème mécanique
Session 2 Expérience 4 Plante 1 Aucune réaction apparente
Plante 2 +
Plante 3 Hyperactivité
Expérience 5 Plante 1 +
Plante 2 +
Plante 3 Problème mécanique
Expérience 6 Plante 1 + +
Plante 2 Hyperactivité
Plante 3 Aucune réaction apparente
Expérience 7 Plante 1 +
Plante 2 + + +
Plante 3 + +

Finalement, sur les 13 essais considérés, 11 font apparaître une coïncidence entre la mort des crevettes et une variation de résistance de la feuille d’une au moins des trois plantes. Pour Cleve Backster, ces résultats constituaient donc la preuve expérimentale de l’existence d’une perception primaire chez les plantes. Il publia le compte-rendu et la conclusion de son expérience dans l’International Journal of Parapsychology, en 1968 sous le titre « Evidence of a primary perception in plant life ».

La polémique

Les résultats des expériences de Backster mirent les mondes médiatiques et scientifiques en émoi. L’information fut relayée avec enthousiasme par les uns et accueillie avec scepticisme par les autres. Les allégations étaient suffisamment extraordinaires pour que la presse en fasse ses gros titres, mais aussi pour que la publication soit relue en détail par la communauté scientifique. La preuve avancée par Backster devait résister à cet examen critique pour soutenir sa théorie. Mais le débat mit en évidence les nombreuses erreurs méthodologiques commises par Backster et jeta le doute sur ses conclusions.
D’abord, le dispositif expérimental ne semblait pas adapté aux végétaux. La fonction psychogalvanique du polygraphe est en effet conçue pour mesurer la variation de résistance de la peau que la transpiration humaine fait diminuer de manière faible mais mesurable, notamment en cas de stress et/ou après un stimulus psychologique. Les mécanismes de transpiration chez les végétaux sont légèrement différents. La majeure partie de l’eau qui arrive dans les feuilles s’évapore par des pores situés à leur surface, les stomates, qui s’ouvrent pour permettre l’entrée du dioxyde de carbone nécessaire à la photosynthèse. Ces mouvements réversibles sont dus à une stimulation de l’environnement : lumière, chaleur, pluie, vent, etc. Les variations de résistance mesurées par Backster pouvaient donc peut-être s’expliquer plus simplement par des oscillations de la température, de la luminosité ou de l’humidité de la pièce auxquelles les végétaux sont plus sensibles que les humains.
Dans son article, Backster affirmait avoir pris quelques précautions pour maintenir constants et uniformes l’éclairage et la température des différentes salles de son laboratoire sans expliciter cependant le dispositif utilisé et le contrôle opéré sur ces valeurs. Il s’agissait pourtant d’une contrainte importante du protocole expérimental. En effet, pour pouvoir supposer l’existence d’une perception primaire chez les plantes, Backster devait impérativement s’assurer que les variations de résistance mesurées ne pouvaient être induites par aucun autre phénomène (variations de la luminosité, de la température, mais aussi électricité statique, vibrations, champs électromagnétiques, etc.). Dans ce but, il n’utilisa qu’un montage de contrôle composé d’une résistance de 100 kohm, simulant une feuille de philodendron, placée dans un circuit électrique semblable à celui des trois plantes. Ce montage devait lui permettre de mesurer les variations de résistance induites par tous ces phénomènes parasites. Malheureusement, Backster ne publia pas le résultat de ces mesures.
On peut regretter également que les trois plantes aient été disposées dans trois pièces différentes. Était-ce pour les isoler « sensoriellement » les unes des autres ? Difficile à dire. Dans son article, Backster ne commente que sa décision d’utiliser plusieurs philodendrons, motivée par un souci de détection des champs électromagnétiques pouvant perturber les mesures : selon lui, si de tels champs existent dans l’environnement expérimental, la comparaison des diagrammes mettra en évidence des variations similaires [7]. Malheureusement, étant données la distance et les cloisons qui séparent les plantes, il est difficile d’exclure la possibilité que, dans cette configuration, un champ électromagnétique parasite n’ait affecté qu’une ou deux d’entre elles. Dans ce cas, le dispositif expérimental ne permet pas de l’identifier.
De plus, lors de cette expérience, Backster espérait mettre en évidence une réaction des trois plantes à la mort des crevettes. Il s’attendait donc à mesurer une variation de la résistance des trois feuilles instrumentées au moment où les crevettes seraient ébouillantées. Il était donc probable, si son hypothèse était vérifiée, d’observer des variations de résistance simultanées pour les trois plantes. Mais Backster espérait également avec ce dispositif pouvoir détecter la présence d’un champ électromagnétique grâce à des variations similaires de la résistance des trois feuilles instrumentées. Puisqu’il lui était impossible de connaître a priori l’amplitude des perturbations produites, comment a-t-il pu avec ce dispositif expérimental dissocier les réactions des plantes des perturbations électromagnétiques ?
On peut relever d’autres maladresses protocolaires, imprécisions des résultats ou erreurs de logique dans l’article de Cleve Backster. L’élimination des expériences au cours desquelles la plante s’est montrée trop ou trop peu réactive est par exemple difficilement justifiable.
Même si l’analyse des diagrammes a été réalisée en aveugle (sans connaître l’intervalle de temps durant lequel les crevettes ont été ébouillantées), Backster ne semble pas avoir défini avant l’expérience la variation minimale de résistance qu’il allait considérer comme une réaction de la plante. Ce manque de rigueur laisse une large part à la subjectivité dans l’interprétation des résultats que Backster pensait résoudre simplement avec le jugement concordant d’un jury de trois membres.
Enfin, l’analyse statistique des résultats est très sommaire. Si Backster observa 11 variations de la résistance des feuilles des philodendrons correspondant à la mort des crevettes sur les 13 diagrammes, il releva également huit réactions en l’absence de ce stimulus. Pour valider son hypothèse, il se contenta de comparer ces huit « échecs » aux onze réussites et puisqu’il y avait plus de réussites que d’échecs, le résultat fut pour lui significatif [8].

La reproductibilité des résultats

Afin de lever les doutes liés aux biais de l’expérience de Backster, trois scientifiques américains, K. A. Horowitz, D. C. Lewis et E. L. Gasteiger [9], l’ont reproduite dans des conditions mieux contrôlées.
Se conformant le mieux possible au protocole et aux conseils de Backster [10], ils ont utilisé quatre philodendrons scandens oxycardium qu’ils ont placés par paire dans deux salles étanches à la lumière (tight-light), à l’intérieur de cages de Faraday constituant une protection contre les perturbations électromagnétiques. Un dispositif de contrôle composé d’une résistance de 110 kohm simulant une feuille de ces plantes était introduit dans chaque cage afin de mesurer les variations parasites dues à l’alimentation électrique, aux vibrations, etc. Une demi-heure avant chaque expérience, les feuilles des philodendrons étaient nettoyées avec de l’eau distillée pour enlever la poussière. Les électrodes étaient ensuite installées et les quatre philodendrons arrosés jusqu’à saturation de la terre.
Les deux pièces renfermant les plantes étaient séparées par une troisième salle contenant l’« ébouillanteur » de crevettes. Horowitz et al. perfectionnèrent le dispositif de Backster : leur appareil était composé de cinq pipettes contenant 10 à 20 petites crevettes d’eau douce (Artemia) pour trois d’entre elles et de l’eau distillée pour les deux autres, leur disposition respective étant préalablement tirée au hasard.
L’expérience durait quinze minutes, durant lesquelles le contenu des cinq pipettes était déversé successivement dans un bac d’eau bouillante, à des intervalles de temps définis aléatoirement. La résistance des feuilles des quatre philodendrons instrumentés était enregistrée en continu. Sur les diagrammes, le temps d’injection du contenu des pipettes dans l’eau bouillante est pointé par un chiffre (de 1 à 5) accompagné d’une lettre : W correspondant à water (eau) et BS à brine shrimp (crevettes).
Contrairement à l’expérience de Backster, le critère de réaction des plantes a été défini avec rigueur. L’amplitude maximale de variation de la résistance de la feuille durant les 25 secondes précédant l’injection (période de contrôle) a été comparée à l’amplitude maximale durant les 25 secondes suivant l’injection. Au total, 5 expériences ont été réalisées, avec 4 plantes, donnant finalement 60 « réponses » correspondant à la mort de crevettes – à comparer aux 13 enregistrées par Backster – et 40 correspondant à l’injection d’eau distillée. Le résultat de l’une de ces expériences pour un des quatre philodendrons est présenté ci-dessous. Les signes +, – et 0 correspondent respectivement à une variation strictement supérieure de 10 µV, strictement inférieure de 10 µV ou comprise entre ± 10 µV par rapport la variation de résistance mesurée lors de la période de contrôle.

Pipette Contenu Réaction Diagramme
1 W 0
2 BS +
3 BS 0
4 BS 0
5 W 0

L’ensemble des résultats de l’expérience d’Horowitz et al. est résumé dans le tableau suivant :

Contenu des pipettes Résultats
+ 0
Crevettes (N= 60) 10 14 36
Eau (N=40) 6 8 26

Différentes analyses statistiques furent menées à partir de ces données. Le but était de vérifier si la mort des crevettes avait une influence statistiquement significative sur la variation de résistance des feuilles du philodendron. Ces analyses ne révélèrent aucune corrélation [11].
Horowitz, Lewis et Gasteiger publièrent le compte-rendu de leur expérience dans la revue scientifique Science en 1975. La conclusion est claire : « Nous n’avons obtenu aucune preuve d’une perception primaire chez les plantes. » [12]. Ne pouvant prouver l’inexistence d’un phénomène, on ne peut bien évidemment pas en déduire que la perception primaire des plantes n’existe pas. Cependant, les auteurs ajoutèrent : « Même si l’hypothèse demeure une spéculation intrigante, on remarquera qu’elle n’est soutenue que par les données partielles publiées par Backster. » [13]

Et 40 ans après ?

Malgré les critiques de l’expérience de Backster, la nouvelle de la « découverte » d’une perception primaire chez les plantes se répandit très rapidement. La publication de livres grand public sur le sujet comme celui de Peter Tompkins et Christopher Bird : The Secret Life of Plants (1973), celui de Lyall Watson : Super-Nature, a natural history of the supernatural, (1974) ou encore celui de Robert Charroux en français : L’énigme des Andes (1974) amplifia le phénomène.
Henri Broch relève dans Le paranormal, l’effet boule de neige qui s’est développé autour cette « découverte ». Lyall Watson rapporte par exemple que l’expérience de Backster fut répétée de nombreuses fois dans de nombreux laboratoires, alors que personne ne parvint à la reproduire et que Backster lui-même s’y refusa. Robert Charroux parle d’un fait incontestable, le dracéna, l’oignon et le citronnier devinant et expertisant les pensées humaines. Chacun a donc embelli l’histoire, lui ajoutant des éléments, pour augmenter sa crédibilité, si bien que malgré l’absence totale d’observations objectives sur l’existence d’une perception primaire chez les plantes, nombreux sont ceux qui pensent cette théorie vérifiée par de rigoureuses études scientifiques.
En effet, en près de quarante années, aucune autre publication scientifique n’est venue corroborer les observations de Backster et l’existence d’une perception primaire chez les plantes n’a donc toujours pas été démontrée scientifiquement. Pourtant, régulièrement les médias ressortent cette histoire, oubliant cependant d’évoquer les détails de la polémique et les expériences contradictoires, comme celle d’Horowitz, Lewis et Gasteiger. Ces critiques n’ont d’ailleurs pas découragé Cleve Backster qui poursuit toujours ses recherches dans le laboratoire qu’il avait créé à San Diego : le Backster Research Center.
Backster a étendu ses expériences à d’autres organismes vivants et ses « découvertes » l’ont amené à développer une nouvelle discipline : la biocommunication. Aujourd’hui, bien au-delà d’une perception primaire des plantes, Backster prétend avoir réussi à mettre en évidence l’existence d’une connexion reliant toutes les cellules vivantes. Lors d’une interview publiée dans The Sun en 1997 puis reprise dans le magazine Nexus, Backster fait le point sur ses recherches en répondant aux questions du journaliste Derrick Jensen [14]. Il témoigne des multiples observations qu’il a pu faire en quarante années d’études, à l’aide du polygraphe mais également d’électroencéphalogrammes et d’électrocardiogrammes.
En prenant deux échantillons d’un même yaourt, par exemple, et en introduisant un antibiotique dans l’un d’eux, il a constaté que le deuxième, branché à un polygraphe, réagissait à la « mort » de l’autre. Il raconte également qu’un jour dans un avion, il a pu enregistrer avec un multimètre de poche, la réaction des feuilles de salade de son plateau-repas à la mort de toutes celles qui étaient ingérées par les autres passagers. De la même manière, après avoir prélevé des cellules humaines (sécrétions buccales, sperme, globules blancs…), il observa une corrélation entre leurs « réactions » et l’état émotionnel des donneurs qu’il suivait, même à distance (jusqu’à 480 km).
Finalement, la biocommunication de Backster rejoindrait l’hypothèse Gaia développée à la fin des années 60 par le biologiste anglais James Lovelock, et qui considère l’ensemble des êtres vivant sur Terre comme un vaste organisme autorégulé aux cellules interconnectées [15]. Cependant, les preuves expérimentales avancées par Backster pour accréditer cette idée n’ont pas de validité scientifique.
Dans ses travaux, Backster prétend se heurter de manière insoluble à l’une des caractéristiques essentielles de la méthodologie scientifique : la reproductibilité. Il affirme aujourd’hui que ses observations concernent des événements spontanés donc non reproductibles, et qui par définition ne peuvent pas être étudiés par la méthodologie scientifique [16]. Mais l’argument est fallacieux du moins en ce qui concerne son expérience avec les crevettes ou ses allégations sur les réactions d’un yaourt. Backster met également en avant l’existence d’un effet « expérimentateur » dont il serait impossible de s’affranchir pour pouvoir observer cette connexion extrasensorielle. Pourtant, sa publication de 1966 concluait à l’existence d’une perception primaire sans intervention humaineindependently of human involvement »). Ainsi pour enregistrer la réaction d’une plante (ou d’autres cellules vivantes) à une émotion humaine, Backster conseille de mesurer leur variation de résistance et de noter les diverses actions et émotions de l’expérimentateur pendant le temps de l’expérience, notes qui permettront ensuite, selon Backster, d’interpréter les réactions du végétal. Mais dans un environnement non contrôlé comment être sûr de ce que l’on mesure ? Et quelle peut être la validité de ces interprétations a posteriori ? Comment déduire une relation de cause à effet de la simple simultanéité ou de la succession de deux événements ?

Conclusion

De nombreux biais méthodologiques émaillent la démarche de Cleve Backster dans son étude d’une perception primaire chez les plantes. Ses premières observations sont relativement imprécises, basées sur une intuition et une analogie due à une ressemblance de diagrammes. Il opte ainsi pour une hypothèse surnaturelle presque par sérendipité (faculté de trouver quelque chose d’imprévu et d’utile en cherchant autre chose) en voulant observer une augmentation de la teneur en eau des feuilles de son dracéna après un arrosage. L’expérience qu’il met en œuvre pour vérifier son hypothèse comporte de nombreuses erreurs protocolaires (instrument et environnement) qui ne lui permettent pas de rejeter une autre explication naturelle aux variations de résistance qu’il mesure. Ses résultats manquent de rigueur et leur interprétation est trop hâtive, sans aucune analyse statistique. Sa conclusion ne peut pour toutes ces raisons être considérée comme justifiée.
Pourtant, ces critiques ne constituent pas plus que l’expérience contradictoire d’Horowitz et al. une preuve de l’inexistence de la perception primaire des végétaux, qu’il sera toujours impossible, logiquement, de démontrer. Cependant, après quarante années de recherche, il faut bien reconnaître que la preuve de l’existence de cette faculté végétale se fait encore attendre…


Notes

[1] « Cleve Backster n’a jamais été policier. » « Cleve Backster has never been a policeman. » extrait de la Fact Sheet « Setting it straight » écrite par Franci Prowse en réponse à l’article du Skepdic de Robert T. Carroll intitulé « Backster Effect ». Disponible sur demande par mail sur le site de Cleve Backster.
[2] « Je dois admettre que le 2 février 1966, 13 minutes, 55 secondes après le début de l’enregistrement du diagramme, ma conscience entière a changé. » « I must state that, on February 2, 1966, at 13 minutes, 55 seconds into the chart recording, my whole consciousness changed. » .
[3] Cette technique est très controversée, voir à ce sujet l’article : http://www.tatoufaux.com/article.php3?id_article=127.
[4] « […] there exists a yet undefined primary perception in plant life, […] animal life termination can serve as a remotely located stimulus to demonstrate this perception capability, and […] this perception facility in plants can be shown to function independently of human involvement. »
[5] « Même si vous automatisez l’expérience et quittez le labo, et même si vous installez un retardateur sur minuterie aléatoire garantissant que vous ne pouvez savoir à quel moment débute l’expérience, les plantes resteront en harmonie avec vous, où que vous alliez. »
« Even though you automate the experiment and leave the laboratory, and even though you set a time delay switch for random intervals, guaranteeing you are entirely unaware of when the experiment starts, the plants will remain attuned to you, no matter where you go. » Extrait de The Plants Respond : An Interview with Cleve Backster publié dans The Sun en Juillet 1997 et disponible sur le site de Derrick Jensen
[6] « Les plantes se trouvaient donc dans un environnement inconnu, […]. Puisqu’elles n’étaient raccordées ni à nous ni à personne d’autre, elles se mirent à « regarder autour d’elles » à la recherche de ce qui pouvait les familiariser avec leur environnement. Et ce ne fut qu’à ce moment qu’un événement aussi subtil que la mort d’une crevette pouvait être perçu par les plantes. »
« This meant the plants were in a strange environment, […]. Because they were not attuned to us or to anyone else, they began « looking around » for anything that would acquaint them with their environment. Then, and only then, did something so subtle as the deaths of the brine shrimp get picked up by the plants. » Extrait de The Plants Respond : An Interview with Cleve Backster publié dans The Sun en Juillet 1997 et disponible sur le site de Derrick Jensen
[7] « Plusieurs plantes ont été utilisées afin d’obtenir des données additionnelles et de pouvoir détecter les perturbations dues aux champs électromagnétiques, sur le principe que de telles perturbations seraient identifiables par des tracés aux caractéristiques similaires se produisant simultanément sur tous les diagrammes. » « The reason for utilizing three plants was to provide additional data and to act as a means of detecting electromagnetic field disturbances, on the principle that such disturbances would be revealed by similar contour characteristics occurring simultaneously on all charts. » Backster C., 1968.
[8] « Puisque les résultats expérimentaux comportent huit réactions non corrélées au stimulus et onze succès, un rapport de moins de un pour un, les résultats excèdent de manière significative le hasard. » « As the experimental results comprised eight non-related tracing reactions to eleven hits, a ratio of less than one to one, the results significantly exceed chance expectation. »
[9] « Kenneth A. Horowitz, Donald C. Lewis, Edgar L. Gasteiger, Section of Neuvrobiology and Behaviour, Division of Biological Sciences, and departement of Physical Biology, New York State Veterinary College, Cornell University, Ithaca 14853. »
[10] « Un effort considérable a été fait pour réaliser ces expériences en conformité avec les directives publiées et les suggestions communiquées directement par Backster. » « Considerable effort was made to conduct these experiments in accordance with the published account and directly communicated suggestions of Backster. » Horowitz et al., 1975.
[11] Nous renvoyons le lecteur à la publication originale pour plus de détails sur ces calculs.
[12] « We obtained no evidence of primary perception in plants. »
[13] « While the hypothesis will remain as an intriguing speculation one should note that only the limited published data of Backster support it. »
[14] L’interview est disponible sur le site de Derrick Jensen
[15] Voir l’article de Wikipédia
[16]  » Les expériences de Cleve Backster ont été reproduites mais les autres ont échoué dans ces tentatives et déprécient ses travaux. Cleve croit qu’il existe un effet expérimentateur fort dans ce genre de recherche. […] Son étude indique clairement l’importance de la spontanéité et de la sincérité de l’intention. Les plantes et les cellules humaines semblent faire la différence entre une intention non véritable et une pensée réelle. « . « Cleve Backster’s research has been replicated, but others have failed in their attempts at replication and disparage his work. Cleve believes there exists a strong propensity for an « experimenter effect » in this type of research. […] his research clearly indicates the importance of spontaneity and sincere intention. Both plants and human cells appear to discriminate between a thought that you do not really mean and a thought that is « for real. » » William C. Gough, Foundation for Mind-Being Research, avril 2004.

Références

  • Backster C., 1968. Evidence of a Primary Perception in Plant Life, International Journal of Parapsychology, vol. 10, no. 4, p. 329-348.
  • Broch H. 1985. Le Paranormal : ses documents, ses hommes, ses méthodes. Seuil.
  • Charroux R., 1974. L’énigme des Andes. Laffont.
  • Horowitz K.A., Lewis D.C., Gasteiger E.L., 1975. Plant “primary perception”: electrophysiological unresponsiveness to brine shrimp killing, Science, Vol. 189, p 478-480.
  • Pelt J.M, 1998. Les langages secrets de la nature, Le Livre de Poche.
  • Tompkins P., Bird C., 1973. The Secret Life of Plants.
  • Van Cauwelart D., 2003. Hors de moi, Albin Michel.
  • Watson L., 1974. Super-Nature, a natural history of the supernatural. Hardback, London.

Internet

La perception primaire des plantes