Écrit par Richard MONVOISIN
Mardi 20 Avril 2004
Cet article est une réponse à la question de VP, lecteur de notre site :
De: « VP »
À: contact@zetetique.fr
Titre: méridiens ?
Date: Mardi 20 avril 2004, 10:11:16 +0000
Mme, Mr,
Je vous écris suite à la lecture de votre article tres intéressant sur le magnétisme. Une question m’est venue: des études scientifiques sérieuses ont elles été menées sur la notion de meridiens ou de nadis dans les traditions orientales? Car si je ne me trompe pas la notion de Qi ou de prana n’est pas dissociée de ceux ci.
Certains disent que ce sont tout simplement les nerfs , d’autres insinuent que cela ne correspond a aucun réseau physiologique connu….je reste donc perplexe.
En vous remerciant de votre réponse.
Bonne continuation.
Salutations distinguées.
VP.
Bonjour Vincent, merci de votre question
Le problème des méridiens est bigrement intéressant. Mais j’aimerais auparavant, si vous le voulez bien, vous proposer de me suivre 3 minutes sur un petit raisonnement sur lequel j’ai moi-même réellement cheminé.
1) d’où nous vient cette idée de méridiens ?
En général, elle vient soit de la radiesthésie, soit de l’acupuncture, plus rarement de la digitopuncture ou de la moxibustion, – c’est-à-dire la chauffe par un cigare d’armoise appelé moxa sur des nœuds de méridien, afin de stimuler tout le réseau d’énergie attenant à la partie chauffée. Dans ma propre histoire, je faisais de la compétition d’athlétisme et un podologue me soignait comme cela, couplant chromatothérapie et moxibustion – avec un réel succès, ce qui n’est malheureusement pas une preuve scientifique. L’origine des méridiens remonte à la Chine de l’Antiquité. La réappropriation par certaines pseudosciences de l’idée de méridien s’est faite en médecine (dans la lignée de la mode « asiatique » : Taï Chi Chuan, acupuncture, etc…) et en géobiologie (par une analogie floue entre les méridiens de la Terre et les lignes magnétiques des radiesthésistes – rhabdomanciers).
2) Quel intérêt ai-je à « croire » en ces méridiens ?
Il y a au moins 5 types de réponses.
- j’y crois parce que c’est évident : j’ai été soigné de façon spectaculaire grâce aux moxas, je ne peux qu’y croire.
- j’y crois parce qu’elle colle à mon présupposé intuitif de l’existence d’un réseau autre que ceux décrits par la médecine moderne, fortement réductionniste, sèche, biochimique… bref, tristoune.
- elle me conforte dans mon idée d’un corpus de phénomènes encore non expliqués.
- elle correspond à l’idée très répandue que les « sagesses » séculaires (et qui plus est orientales) ont une teneur de véracité ou d’efficacité encore bien trop méconnues.
- Aucun intérêt à croire. Une simple curiosité « scientifique » me pousse à en vérifier l’existence.
Comme vous pouvez vous en rendre compte, Vincent, les 4 premiers points m’amènent à vouloir croire, le dernier à vouloir savoir.
3) quelle différence y a-t-il entre vouloir croire et vouloir savoir ?
Ni l’un ni l’autre n’est supérieur d’un point de vue moral. Si j’ai envie de croire, si ça m’aide, si ça me guérit, tant mieux. La lecture des coïncidences, par exemple, est du même registre : je peux n’en voir aucune, comme en voir partout, libre à moi. On est dans le champ d’une « poétique », au sens mélioratif du terme, qui peut être très intéressante comme grille de lecture du monde. Cette « poétique » (NdR c’est moi qui l’appelle ainsi) peut être satisfaisante, rassurante, enrichissante… et fausse, ce qui n’est pas très important : ce n’est pas ce qu’on lui demande (tout comme ce n’est pas très important de savoir si Jésus a existé ou pas, tant que je le cantonne dans le champ de ma « poétique », de mon acte de foi, et que je ne prétends pas au statut scientifique. Et que je n’impose pas ma vision aux autres !) Par contre, il y a un certain luxe qui consiste à se poser la question : est-ce que cette « poétique » est fondée sur des phénomènes qui se produisent en dehors de moi ou de ma croyance ? Si c’est le cas, cela fait une sacrée différence : je peux désormais tenter de rendre reproductible le phénomène en dehors de moi, de bâtir des expériences dessus, et d’en parler en des termes réellement scientifiques. Ce que vous appeliez dans votre courriel des « expériences scientifiques sérieuses ».
4) Quels avantages et quels inconvénients ai-je à croire en un phénomène n’existant pas en dehors de moi ?
Tout ceci n’engage bien sûr que moi. L’avantage, on l’a vu. Satisfaction, sentiment de sécurité, sentiment de supériorité en jouant avec une grille de lecture un peu occulte, un peu alternative, etc… J’ai un ami qui par exemple sait très bien que les fondements scientifiques de la cartomancie sont en carton pâte. Pourtant, il adore se faire tirer les tarots. Ils lui permettent de se poser des questions sur lui-même qu’il ne se serait pas posées seul. Evidemment, un bon paquet de ces questions s’avérera inutile d’un point de vue strictement pratique, mais ça lui fait plaisir et fonctionne comme un étai, même en hiver.
Les inconvénients ? Le plus gros est de confondre croire et savoir. « Bien sûr que ça existe puisque j’y crois » est la phrase typique de confusion. Surtout si on se retrouve en groupe pour croire. Au bilan :
- celui ou celle qui croit sur la base de textes prend le risque de se faire « démolir » scientifiquement sa croyance, et de se retrouver désemparé-e : il ou elle peut se retrouver confronté-e à des cas où ça ne « marche » plus (cas typique des pseudomédecines : tiens, j’ai un cancer, je mange pourtant mes 10 g par jour de vitamine C comme m’ont dit de le faire Cousin et le prix Nobel Pauling).
- celui ou celle qui croit peut s’empêtrer dans un « effet bistandart » : si la Science prouve ma croyance, la Science est valable. Si la Science infirme ma croyance, alors la Science n’est pas valable, la Science n’explique pas tout, il s’agit d’un complot, etc… On change les règles du jeu en fonction des résultats. C’est là où je voulais en venir. J’espère que vous ne vous êtes pas endormi.
Revenons aux méridiens :
Si vous êtes, Vincent, dans l’un des 4 premiers items du début, et que cela vous fait du bien, je n’ai qu’un mot. Continuez ! Pensez juste que lorsque votre pathologie dépassera le cadre des affections type psychosomatiques, il faudra consulter un médecin classique. Pensez aussi que des commerces mal intentionnés fleuriront sur vos pas. Des exemples ? le Végatest, sorte de circuit éléctrique (un Pont de Wheatstone) comparable à un ohmètre sensé mesuer la resistance cutanée des points des méridiens. Unités arbitraires, montage léger, prix très lourd, efficacité nulle. Ou encore l’Electrographe segmentaire, qui fait la même chose mais sur 8 points en même temps, le tout relié à un ordi. Une fortune. Une arnaque.
Par contre, si vous voulez savoir où en sont les recherches actuelles sur les méridiens, alors adieu la volonté de croire, bonjour la volonté de savoir. Vous ferez alors le même deuil que moi pour la moxibustion.
L’existence des méridiens n’a pas de fondement scientifique.
Si l’acupuncture perdura des siècles en Chine; elle fut interdite par l’Empereur en 1822, puis supprimée du programme enseigné au Collège Médical Impérial… jusqu’à ce que Nixon le président des USA en voyage en Chine en 1972, ne se fasse avoir par des démonstrations d’opérations chirurgicales avec « anesthésies sous acupuncture ». Il ne savait pas que Mao avait remis ces anesthésies miracles au goût du jour dans le but d’économiser des équipements et des médicaments. Il ne savait pas non plus que les « cobayes » humains étaient en général endormis par des moyens classiques.
Qu’importe : des neurophysiologistes attirés par les mystiques orientales, et un historien des sciences chinoises appelé J. Needham firent le fulgurant succès médiatique de cette pseudoscience. L’histoire est narrée dans l’incontournable livre « idées folles, idées fausses en médecine », de MM. James McCormick et Petr Skrabanek, éditions odile Jacob, 1997.
Le coup de pub en France sur ces méridiens date de novembre 85 , au JT de 20 h. La preuve de l’existence des méridiens fut avancée par les Docteurs J-C. Darras, P. Albarède et P. de Vernejoul, du service de biophysique et de médecine nucléaire de l’hôpital Necker. Qui plus est, ils parlèrent du méridien de la jambe – le mien, celui que je stimulais avec mes moxas ! – mis en évidence par l’injection d’un isotope radioactif utilisé comme traceur. Les docteurs ajoutèrent que ces résultats avaient été « communiqués » à l’Académie des Sciences.
Les failles ? Deux, et pas de vulgaires fissures.
Primo, tout le monde peut communiquer quelque chose à l’Académie. C’est le faire approuver est, comme le disent certains manchots, une autre paire de manches.
Secundo, la « preuve » était la suivante : une injection de l’isotope dans un point d’acupuncture avait diffusé, tandis que ce ne fut pas le cas dans un point « banal ». Or d’une part, le cliché de la diffusion au point d’acupuncture fut fait plus tard que pour l’autre point, ce qui met au feu toute validité à l’expérience. « On n’a tout simplement pas laissé le temps au traceur injecté au point « banal » de diffuser », expliqua Dr J-M. Bader (cf. réfs). D’autre part la diffusion fut non pas méridienne, mais veineuse, comme le montreront des expériences ultérieures.
Enfin, tertio, petit mais amusant : « la communication à l’Académie des Sciences semble avoir été curieusement couplée avec le lancement, le même jour, d’un ouvrage grand public (par les mêmes auteurs) sur l’acupuncture, conférence de presse à l’appui. » écrit H. Broch.
Des publications sont explicites là-dessus, notamment :
Skrabanek P., « Acupuncture : past, present and future » in « examining holistic medicine, Stalker D. and Glymour G., eds. Prometheus Books, Buffalo, New York, 1985
Qian W-Y, the Great Inertia ; scientific Stagnation in Traditional China , Croom Helm, Londres, 1985 « Anon : endorphins through the eye of a needle ? » Editorial, Lancet, 1981, i, 480-482.
Skrabanek P., » Acupuncture and endorphins »Lancet, 1984, i 220. Skrabanek P., « Acupuncture : and the age of unreason » Lancet, 26 mai 1984, i, 1169-1171.
Skrabanek P., « Acupuncture – needless needles », Editorial, Irish Med. J., 1985, 10, 99.
Moore M.E., Berk S.N. « acupuncture for chronic shoulder pain » Annals of Internal Medicine, Vol 84, N°4, avril 1976, p 381. Stalker D., Glymour C, « examining Holistic Medicine » Prometheus Books, Buffalo, 1985.
En français :
Broch H., « Au cœur de l’extra-ordinaire », nouvelle édition, éditions Book-e-Book.com, 2002, pp 143-152.
Skrabanek P., « L’Acupuncture », Journal International de Médecine, 1985, 10, 99.
Bader J.M., « Acupuncture : des ‘preuves’ qui n’en sont pas », Science et Vie N°819, décembre 1985, p 61
Bader J.M., les acupuncteurs piqués au vif », Science et Vie N°823, avril 1986, p 54.
Bader J.M., « médecine charlatanisme et édition » Science et Vie N°832, janvier 1987 p 138. Coers C. « médecins ou magiciens ? Mythologie de l’art de guérir »Arthaud, Paris, 1985.
Pour moi, il n’y a pas de quoi être déçu, bien au contraire. Nous pouvons, par suggestion, parvenir à des résultats incroyables. J’ai guéri par moxibustion –donc par suggestion – un certain nombre d’entorses. Mais il faut pour cela un support, que d’aucuns appelleraient un « mensonge ». La question de savoir jusqu’où on peut mentir à des fins de guérison reste ouverte. J’espère avoir un peu éclairé votre lanterne. Quant à moi, je m’éclaire à la lueur de mes moxas désormais remisés.
Bien à vous,
Richard Monvoisin, secrétaire de l’Observatoire Zététique.