Écrit par Emmanuel RIGUET
Mardi 4 mai 2004
« Le dix-huitième siècle, qui compensait par une foi si docile au merveilleux, les antiques croyances que son esprit philosophique lui faisait perdre, le siècle de Montesquieu, de Voltaire et des encyclopédistes, qui fut aussi le siècle du grand thaumaturge de Saint-Médard, du rabdomante Bleton et de l’incomparable souffleur Lascaris, devait finir par une dernière merveille, qui, si elle n’éclipsa point toute les autre, était du moins appelée à une plus longue fortune. »
Louis Figuier, Histoire du Merveilleux dans les temps modernes, Tome 3, 1860
Les premières lignes du Tome 3 de l’Histoire du Merveilleux dans les temps modernes de Louis Figuier entièrement consacré au Magnétisme animal, décrivent la disposition des esprits de la fin du 18e siècle vis à vis du surnaturel. La Raison ennuie déjà, et le surnaturel semble plus prompt à stimuler et à complaire l’imagination. Un attrait important se développe autour de ces phénomènes dans tous les niveaux de la société, y compris et surtout auprès des classes les plus instruites. Les représentants des sciences dites « officielles » vont être régulièrement amenés à se prononcer voire à expérimenter sur ce type de phénomènes. Les confrontations entre « science officielle » et « hérétique » étaient souvent houleuses mais le fait même qu’elles aient été nombreuses et qu’elles se soient déroulées en des lieux prestigieux, laisse dans la bouche des défenseurs contemporains des « sciences métapsychiques » un brin de nostalgie pour cette époque.
Sont regroupés ci-dessous quelques repères sur l’histoire du magnétisme animal.
ÉPISODE 2 – L’INVENTION DU MAGNÉTISME ANIMAL
Franz Anton Mesmer (1734-1815)
Le magnétisme animal introduit par Franz Anton Mesmer est en fait directement inspiré de la théorie du « fluide universel ». Cette théorie jouissait d’un grand succès et était admise par un grand nombre de savants de la fin du 16e siècle et du début du 17e siècle : Van Helmont, Paracelse et Maxel entre autres figurent au rang des promoteurs de cette théorie qui postule l’existence d’un fluide répandu dans tout l’univers et dans toute chose, capable d’expliquer presque à lui seul le fonctionnement de la nature. Cette théorie est commune à un grand nombre de cultures. Bertrand Alexandre exprime ainsi le penchant de l’homme pour ce type de théorie explicative de la nature : « C’est un besoin naturel à l’esprit de l’homme que celui qui le porte à allier la simplicité des causes avec la multiplicité des effets, et rien ne nous paraîtrait plus satisfaisant que l’admission d’une cause unique, à laquelle on pût attribuer tous les phénomènes de la nature » . Cette théorie du fluide universel trouve un second souffle avec la découverte des propriétés singulières des aimants et particulièrement leur propriété d’action à distance : certains voient alors dans les aimants un objet possédant toutes les propriétés du fluide universel et donc un objet dans lequel ce fluide se trouverait en « quantité » plus importante que dans tout autre corps. On voit alors apparaître le nom de fluide magnétique. En ces temps où la saignée fait encore partie des traitements administrables, le médecin et chimiste Van Helmont, disciple de Paracelse, écrit un ouvrage sur le traitement magnétique des plaies « Ce n’est pas la seule fois qu’on ait donné à un remède insignifiant des vertus qui n’étaient dues qu’à des circonstances accessoires ». On découvre en effet que cette cicatrisation rapide est due au fait que la plaie est tenue propre et laissée à l’air libre; le magnétisme ne joue aucun rôle dans le procesus.
Franz Anton Mesmer est un médecin viennois, dont les premières études portent sur l’influence des planètes sur la santé. Il soutient sa thèse de médecine, dont le titre est plus qu’évocateur, sur ce thème : « De l’influence des planètes sur le corps humain » (1766). Il s’intéresse ensuite à la médecine par les aimants. Dès 1772, le père Hell développe une technique curative par l’aimant : Mesmer fait sa connaissance et adopte lui aussi cette pratique. Mais très vite Mesmer abandonne les aimants, et prétend obtenir, sans leur utilisation, des résultats thérapeutiques de même nature par simple imposition des mains. Mesmer va donc développer sa propre théorie qu’il dénommera « Magnétisme animal » (1775). Ainsi, bien qu’affirmant que les aimants ne sont finalement pas utiles à la guérison, il conserve le terme « magnétisme ». Le magnétiseur serait capable à lui seul de « concentrer » et « dispenser » le fluide vital (qu’il a aussi appelé « fluide magnétique » ou « fluide animal ») ; l’accumulation de ce fluide provoquerait une « crise magnétique » capable de rétablir l’équilibre harmonieux mis à mal par la maladie.
Malgré ses succès, Mesmer reçoit ordre de l’impératrice, suite à un litige au sujet de la guérison d’une malade atteinte de cécité hystérique, de « finir cette supercherie ». Avide de reconnaissance, il décide de quitter l’Autriche et choisit de s’installer à Paris. Soulignons que Mesmer ne s’érige pas contre la science : il sollicite les plus hautes autorités scientifiques pour juger de son système, (la Société Royale de Londres, l’Académie des Sciences de Paris, – qui ne lui répondent pas – et celle de Berlin, qui lui indique qu’il est dans l’erreur). Malgré ces déconvenues avec les autorités scientifiques, l’esprit philosophique qui règne à Paris est très favorable à Mesmer : à son arrivée en 1778 plusieurs personnes ont eu écho de ses succès et l’attendent avec impatience. Très rapidement il rentre en conflit avec les médecins de la capitale, puisqu’il affirme avoir guéri des malades condamnés par la faculté – les médecins, eux, rétorquent qu’il s’agissait de malades ordinaires.
Louis Figuier décrit ainsi la façon dont procédait Mesmer pour provoquer ces crises :
« Mais quel est ce feu dont Mesmer est rempli, qu’il concentre en lui-même par sa volonté, et que sa volonté va darder en rayons invisibles dans des corps souffrants ou débiles, pour leur rendre la force ou la santé ? Hélas ! nul ne l’a jamais su, et le pontife l’a toujours ignoré lui-même, en dépit des efforts qu’il a faits pour nous l’expliquer. Ne pouvant le comprendre dans sa nature, essayons pourtant de le connaître dans ses effets. Or, voici ce en quoi ces effets consistent.
Mesmer prélude par certaines manipulations simplement communicatives ; c’est ce qu’il appelle se mettre en rapport avec son sujet. Assis en face de lui, le dos tourné au nord, il approche pieds contre pieds, genoux contre genoux : ensuite il porte, sans appuyer, les deux pouces sur les plexus nerveux qui se réunissent au creux de l’estomac. Ses doigts, posés sur les hypocondres, se promènent en effleurant légèrement les côtes et en se rabattant vers la rate, de telle sorte qu’ils ne fassent pas changer de place aux pouces pendant qu’ils décrivent ces deux courtes paraboles. Quelques disciples jeunes et robustes opèrent sous les yeux du maître, et s’attachent à répéter les mêmes mouvements, c’est-à-dire, pour employer leur langage, les mêmes passes, qui se continuent pendant un quart d’heure ou plus. C’est déjà une action, mais de l’intensité la plus bénigne et la plus innocente.
Tous les malades, sans distincton, ont droit à ces attouchements préliminaires, dont Mesmer augmente l’efficacité par son regard obstinément fixé sur celui du patient. Les sons d’une musique suave disposent les malades à recevoir ces attouchements dans un calme favorable. Ils ne tardent pas à en ressentir les premiers effets : chez l’un, c’est du froid dans la partie malade, chez l’autre de la chaleur; chez un troisième, c’est une sensation douloureuse. Suivant ces indices, ou d’après les maux divers que les sujets accusents, les passes et les manipulations varient. Si c’est une ophthalmie, Mesmer ou ses adeptes portent la main gauche sur la tempe droite du malade et la main droite sur sa tempe gauche, puis, lui faisant ouvrir les yeux, ils lui présentent les pouces à une très petite distance, et les promènent, depuis la racine du nez, tout autour de l’orbite. Si c’est une violente migraine, ils les touchent par les extrémités de leurs pouces, portant l’un sur le front, l’autre derrière la tête, à l’opposite. Ainsi de toutes les douleurs locales des autres parties du corps. Une règle fixe et constante dans ces divers attouchements, c’est que le toucheur ait une main d’un côté et l’autre du côté opposé, c’est-à-dire à l’un des pôles par où il injecte le fluide vivifiant, et au pôle contraire par où il soutire le fluide, jusqu’à ce que le courant produit par cet exercice ait rétabli l’équilibre et l’harmonie dans la machine électrique animale.
La maladie est-elle générale, a-t-on à l’attaquer dans toute l’habitude du corps, autre forme de passes, plus hardie et plus large. c »est alors la magnétisation à grands courants. Les premières manipulations ont été faites; le rapport est établi entre le magnétiseur et son sujet. Alors il passe les mains, en faisant faire la pyramide aux doigts(1), sur tout le corps du malade, à commencer par la tête et en descendant ensuite le long des épaules jusqu’aux pieds. Après cela il revient à la tête, devant et derrière, sur le ventre et sur le dos; puis il recommence, et recommence encore, jusqu’à ce que, saturé du fluide réparateur, le magnétisé se pâme de douleur ou de plaisir, deux sensations également salutaires.
dont le succès important contribuera au développement des thérapies magnétiques. On appliquait jusqu’alors sur les plaies des huiles sensées faciliter leur cicatrisation. Van Helmont se passe de ces onctions et utilise des aimants. Il ne peut que noter l’amélioration indéniable qu’apporte le nouveau traitement. Une observation sommaire pourrait amener à croire en une action thérapeutique positive des aimants. Bertrand Alexandre, médecin et magnétiseur du 18e siècle, déclare pourtant :
« Dans ces passes puissantes et dans ces paraboles à grands rayons, les attouchements ne sont plus nécessaires. C’est à distance que Mesmer agit, c’est de loin qu’il produit ses effets. Et quels effets ! Grâce « au pouvoir que la nature a donné à tous les hommes, et que, par son travail sur lui-même, il a si bien perfectionné, » Mesmer verse à plein jet le fluide dont il surabonde. Armé d’une baguette de fer ou de verre terminée en pointe mousse, il l’injecte et le dirige où il lui plait; comme aussi, quand il le veut, il le soutire et le rappelle à lui. Mais le plus souvent cette baguette est rejetée et sa main lui suffit. Dans ses doigts rassemblés en pointe, il réunit les rayons du fluide, et les lance à dix pas devant lui. On croirait voir un pontife qui bénit, ou un bedeau superbe jouant du goupillon.
Cependant la scène s’anime, et le magnétisme opère. Ici on entend des éclats de rire et des hoquets étranges; là des sanglots, des soupirs ou des cris de douleur. On voit des magnétisés qui sont livrés à des pandiculations laborieuses ou à des bâillements longs et impossibles. Quelques femmes se sont pâmées; d’autres se renversent et semblent prises de mouvements tétaniques. La musique est le grand secours que Mesmer applique à ces crises; le forte-piano les accompagne, les tempère et les dirige. Mais l’instrument le plus efficace, sans doute parce qu’à cette époque il est encore très rare en France et tout à fait nouveau en médecine, c’est l’harmonica que Mesmer a apporté de l’Allemagne, et dont il (…) »
(1) Voyez le catéchisme du magnétisme animal, rédigé pour les adeptes de Mesmer, et que nous avons du suivre dans ce premier tableau, quoique les procédés des magnétiseurs aient beaucoup changé après 1778.
En outre Mesmer affirme pouvoir magnétiser toute substance. L’eau magnétisée par Mesmer est réputée pour ces vertus médicales et plus tard, seront utilisés des arbres magnétisés capables de provoquer au contact des crises magnétiques ou des états somnambuliques.
Malgré ces mésaventures avec le corps médical, Mesmer devient un grand homme pour le public et l’ampleur de sa réputation intrigue certains hommes instruits. Parmi ceux-ci le médecin Le Roy alors président de l’Académie des Sciences qui y fit une présentation des travaux de Mesmer. Cette prestation ne suscita pas un grand intérêt de la part des académiciens qui restèrent peu convaincus par les expériences effectuées en présence de douze d’entre eux. Mesmer décrit le comportement des académiciens lors de cette expérience comme celui d’écoliers impertinents.
Malgré cet épisode désagréable pour Mesmer, il accepte la proposition du comte de Mallevoie et de Le Roy d’effectuer le traitement de plusieurs malades dont l’état aurait été préalablement attesté par les médecins de la faculté. Mesmer s’établit à Créteil afin d’effectuer ces traitements, mais Mallevoie et Le Roy se désengagent rapidement et se retranchent derrière l’Académie des Sciences qui elle-même se retranche derrière la Société Royale de Médecine. Plusieurs conflits internes au sein des autorités médicales et des désaccords avec Mesmer sur la façon d’élaborer ses tests conduisent à l’abandon de ces derniers. Louis Figuier décrit ainsi le retour de Mesmer à Paris : « S’il faut prendre ses paroles à la lettre, vers la fin septembre 1778, il était abandonné, fuit, dénigré, honni par tout ce qui tient de la Science. Mais il lui restait le droit de se plaindre, et il s’en servit » .
Mesmer sut communiquer efficacement sur ces différents épisodes difficiles, et rapidement ses deux bras et ceux de son valet ne furent plus suffisants pour faire face à l’afflux de patients. Mesmer invente alors le Baquet qui devint bientôt l’emblème du magnétisme animal. Avec le Baquet le magnétisme animal rentre dans une phase de gloire, le tout Paris se bouscule autour de celui-ci. Louis Figuier raconte :
« Au milieu d’une vaste salle, doucement éclairée par un demi-jour, voyez-vous plusieurs personnes assises autour d’une table ronde, qui forme le couvercle d’une caisse circulaire faite de bois de chêne, élevée d’un pied et demi et ayant six pieds de diamètre ? Cette caisse ou cette cuve est ce qu’on nomme le baquet. Il est rempli d’eau jusqu’à une certaine hauteur et contient au fond un mélange de verre pilé et de limaille de fer ! Sur ces matières reposent des bouteilles remplies d’eau, et rangées symétriquement de telle sorte que tous les goulots convergent vers le centre; d’autres bouteilles disposées en sens opposé, partent du centre et rayonnent vers la circonférence. Voilà ce que cache habituellement le couvercle du baquet, autour duquel les malades sont assis dans le recueillement d’une foi profonde. Quand le baquet est à sec, ce qui peut être une variante accidentelle du mystère magnétique, ce sont les mêmes dispositions intérieures et les mêmes ingrédients, à l’eau près. Enfin, pour augmenter l’intensité des effets attendus, on a souvent muni le baquet de plusieurs lits de bouteilles superposées, mais en observant toujours la double symétrie des goulots convergents et des goulots divergents, condition fondamentale!
Ce couvercle est percé de trous par lesquels sortent, d’espace en espace, des baguettes de verre ou de fer, mobiles et coudées, dont une extrémité, terminée en pointe, se (…) »
Le baquet de Mesmer
(Musée d’Histoire de la médecine et de la Pharmacie de Lyon)
A la même période, Mesmer fait la connaissance de Deslon, docteur régent de la faculté de médecine. Deslon est le témoin de guérisons spectaculaires sur ces malades et devient convaincu de l’utilité de la découverte de Mesmer, les deux hommes se lient rapidement d’amitié. Deslon publie un ouvrage intitulé Observations sur le magnétisme et demande une assemblée générale dans laquel il peut rendre compte de la découverte de Mesmer. La faculté de médecine, bien que fort indisposée contre Mesmer, accorde à Deslon cette audience mais dans le même temps, M de Vauzémes, récemment nommé au rang de professeur, propose l’examen de la radiation de Deslon de la liste des docteurs régents. Le 18 septembre 1780, en assemblée générale de la faculté, Deslon fit sa proposition et M de Vauzémes motiva son accusation. Après délibération, l’arrêt fut le suivant :
« 1° Injonction à Mr Deslon d’être plus circonspect à l’avenir ; 2° Suspension pendant un an, de voix délibératives dans les assemblées de la faculté; 3° Radiation, à l’expiration de l’année, du tableau des médecins de la Faculté, s’il n’avait pas, à cette époque, désavoué ses observations sur le magnétisme animal ; 4° Les propositions de Mesmer rejetées »
Deslon fut rayé définitivement de la liste des docteurs régents après trois confirmations dans trois assemblées générales consécutives (procédure légale). Au cours de cette période, la position de Deslon évolue considérablement et loin de rétracter ses premiers propos sur le magnétisme animal, il se présente désormais comme possesseur lui-même du secret de la découverte et praticien du magnétisme animal. Il établit pour son compte un traitement public par le magnétisme. Mesmer voit dans cette position une haute trahison et se sent dépossédé de sa découverte. A la même période, en 1783, le jeune avocat Nicolas Bergasse et le banquier Kormann achetent son secret et le publient. Mesmer en 84 crée la société de l’Harmonie, dans laquelle les patients les plus fidèles de Mesmer souscrivent à une somme de 100 Louis pour être instruits de sa théorie et de ses procédés. Un total de 340000 livres fut versé entre les mains de Mesmer, Mais un désaccord important survient rapidement entre les souscripteurs et Mesmer. Nombre d’entre eux s’estimèrent suffisamment instruits pour pratiquer le magnétisme et former à nouveau d’autres souscripteurs. Dans l’idée de Mesmer, la souscription avait pour objectif l’unique instruction et en aucun cas avait pour finalité de former de nouveau praticiens.
Le succès grandissant du magnétisme est à la fois remarquable par l’afflux des patients autour du baquet (certains assurent que plus de huit milles personnes se sont rendues aux traitements de Mesmer et de Deslon) et par le nombre de plus en plus important de praticiens, ce qui pousse le gouvernement à sortir de son silence. Le 12 Mars 1784, le Roi nomma une commission pour rendre un rapport sur la réalité du magnétisme animal, composé de neuf membres, dont cinq, Franklin, Le Roy, Bailly, De Bory et Lavoisier sont membres de l’Académie des Sciences et quatre, Borie, Sallin, d’Arcet et Guillotin, de la Faculté de Médecine (Borie est remplacé par Majaut après sa mort). Le 5 avril, une autre commission fut nommée parmi les membres de l’Académie Royale de Médecine (Poissonnier, Gaille, Mauduyt, Andry et Laurent de Jussieu) et fut chargée de produire un autre rapport au Roi, sur la réalité du magnétisme.
Les deux commissions enquêtent avec « l’aide » de Deslon (Mesmer fut indigné par le fait que les deux commissions choisissent de travailler avec le disciple et non le maître). Dans le même temps la faculté veut se prémunir de l’invasion des magnétiseurs à la faculté ; les médecins doivent signer un document dans lequel ils s’engagent à ne pas pratiquer le magnétisme.
Le rejet du magnétisme animal par les sociétés savantes avait cru pouvoir jusque là se passer d’un examen méticuleux des faits rapportés par Mesmer et Deslon. La critique était alors essentiellement basée sur la stigmatisation du camp adverse, si bien symbolisée par les attaques de M. Vauzème. L’attitude arrogante et déplacée de Mesmer, qui ne cessait de vouloir se faire passer pour le génie qu’il n’a jamais était, n’est probablement pas étrangère à cet état de fait. Le rapport Bailly s’inscrivit en porte à faux et donna les résultats d’une véritable investigation sur le magnétisme animal.
Bertrand Alexandre écrit à propos du rapport Bailly : « On trouve dans ce rapport, monument précieux de cette époque, tous les éléments nécessaires pour se faire une idée et des procédés employés par les magnétiseurs mesmériens et des effets qu’ils en obtenaient » « Le travail de Bailly mérite également d’être médité avec attention, si l’on veut se former une opinion sur la cause des effets extraordinaires qu’on remarquait autour des baquets. J’ai l’intime conviction que quiconque le lira avec un esprit exempt de prévention ne pourra manquer de partager, quant au fond, l’opinion des hommes célèbres qui l’ont signé »
Le rapport de la commission Bailly fut terminé et signé le 11 août 1784, soit cinq jours après le rapport de la Société Royale de médecine (daté du 16 août). Deslon, selon le rapport Bailly, s’est engagé avec les commissaires :
1° à constater l’existence du magnétisme animal ;
2° à communiquer ses connaissances sur cette découverte ;
3° à prouver l’utilité de cette découverte dans la cure des maladies » (l’intégralité du rapport Bailly se trouve dans l’ouvrage de Bertrand Alexandre )
Les commissaires assistèrent pendant quelques temps aux traitements dispensés par Deslon chez lequel ils se rendirent séparément à tour de rôle et manifestèrent d’abord leur étonnement devant la nature du phénomène observé.
Extrait du rapport public Bailly
« Rien n’est plus étonnant que le spectacle de ces convulsions; quand on ne l’a point vu, on ne peut s’en faire une idée, et, en le voyant, on est également surpris et du repos profond d’une partie des malades et de l’agitation qui anime les autres, des accidents variés qui se répètent, des sympathies qui s’établissent. On voit des malades se chercher exclusivement, et, en se précipitant l’un vers l’autre, se sourire, se parler avec affection et adoucir mutuellement leurs crises. Tous sont soumis à celui qui magnétise; ils ont beau être dans un état d’assoupissement apparent, sa voix, un regard, un signe les en retire. On ne peut s’empêcher de reconnaître à ces effets constants une grande puissance qui agite les malades, les maîtrise, et dont celui qui magnétise semble être dépositaire. »
Après avoir observé les effets du magnétisme sur les autres, les commissaires se font magnétiser pour en étudier les effets sur eux mêmes – un baquet particulier leur fut réservé par Deslon : aucun effet significatif pouvant être attribué au magnétisme ne fut observé.
« Quelques-uns des commissaires sont d’une constitution robuste; quelques autres ont une constitution moins forte et sont sujets à des incommodités : un de ceux-ci a éprouvé une légère douleur au creux de l’estomac à la suite de la forte pression qu’on y avait exercée. Cette douleur a subsisté tout le jour et le lendemain; elle a été accompagnée d’un sentiment de fatigue et de malaise. Un second a ressenti, l’après-midi d’un des jours où il a été touché, un léger agacement dans les nerfs, auquel il est fort sujet. Un troisième, doué d’une plus grande sensibilité et surtout d’une mobilité extrême dans les nerfs, a éprouvé plus de douleur et des agacements plus marqués; mais ces petits accidents sont la suite des variations perpétuelles et ordinaires de l’état de santé, et, par conséquent, étrangers au magnétisme ou résultent de la pression exercée sur l’estomac. »
Les commissaires sont alors frappés par la grande différence des effets observés entre les traitements publics et leur propre traitement.
« Le calme et le silence dans l’un, le mouvement et l’agitation dans l’autre; là, des effets multipliés, des crises violentes, l’état habituel du corps et de l’esprit interrompu et troublé, la nature exaltée; ici, le corps sans douleurs, l’esprit sans trouble, la nature conservant et son équilibre et son cours ordinaire; en un mot, l’absence de tous les effets : on ne retrouve plus cette grande puissance qui étonne au traitement public; le magnétisme sans énergie parait dépouillé de toute action sensible. »
Dans une expérience ultérieure, ils veulent étudier l’effet du traitement magnétique sur de véritables malades ; dans une première expérience impliquant sept malades trois d’entre eux ressentirent un effet, les quatre autres ne sentirent rien. Dans une deuxième expérience impliquant quatre malades, deux ressentirent quelque chose.
« Mme de M., attaquée de maux de nerfs, fut magnétisée pendant une heure dix-neuf minutes sans interruption, et souvent par l’application des mains; elle a été plusieurs fois sur le point de s’endormir; elle a éprouvé seulement de l’agitation et du malaise. M. M., qui avait une tumeur froide sur toute l’articulation du genou, sentait de la douleur à la rotule. Pendant qu’on le magnétisait, il n’a rien éprouvé dans tout le corps, excepté au moment où l’on a promené le doigt devant le genou malade. Alors il y eut à la rotule une assez vive sensation de chaleur. »
Cette première série d’expériences convint les commissaires du rôle prépondérant de l’imagination dans le traitement magnétique, dont ils vont chercher à établir plus directement l’importance. Une première série d’expériences est menée avec un nouveau magnétiseur répondant au nom de Jumelin, mettant en évidence les effets de l’imagination.
« Les commissaires voyant que, sur onze personnes soumises à l’expérience, une seule avait été sensible au magnétisme de M. Jumelin, ont pensé que celle-ci n’avait éprouvé quelque chose que parce qu’elle avait sans doute l’imagination plus facile à ébranler. L’occasion était favorable pour s’en éclaircir. La sensibilité de cette femme étant bien éprouvée, il ne s’agissait que de la mettre à l’abri de son imagination, ou du moins de mettre son imagination en défaut. Les commissaires ont proposé de lui bander les yeux, afin d’observer quelles seraient les sensations lorsqu’on opérerait à son insu. On lui a bandé les yeux, et on l’a magnétisée : alors les phénomènes n’ont plus répondu aux endroits où on a dirigé le magnétisme. Magnétisée successivement sur l’estomac et dans le dos, la femme n’a senti que de la chaleur à la tête, de la douleur dans l’œil droit, dans l’œil et dans l’oreille gauches.
On lui a débandé les yeux, et M. Jumelin lui ayant appliqué ses mains sur les hypocondres, elle a dit y sentir de la chaleur; puis, au bout de quelques minutes, elle a dit qu’elle allait se trouver mal, et elle s’est trouvée mal en effet. Lorsqu’elle a été bien revenue à elle, on l’a reprise, on lui a bandé les yeux, on a écarté M. Jumelin, recommandé le silence, et on a fait accroire à la femme qu’elle était magnétisée. Les effets ont été les mêmes, quoiqu’on agît sur elle ni de près ni de loin; elle a éprouvé la même chaleur, la même douleur dans les yeux et dans les oreilles; elle a senti de plus de la chaleur dans le dos et dans les reins.
Au bout d’un quart d’heure, on a fait signe à M. Jumelin de la magnétiser à l’estomac, elle n’y a rien senti; au dos, de même. Les sensations ont diminué au lieu d’augmenter; les douleurs de la tête sont restées; la chaleur du dos et des reins a cessé. »
Dans une dernière expérience les commissaires retournent vers Deslon pour lui proposer une expérience dont il annonce le succès à condition de travailler avec un sujet sensible.
« M. Deslon a amené avec lui un jeune homme d’environ douze ans; on a marqué, dans le verger du jardin, un abricotier bien isolé et propre à conserver le magnétisme qu’on lui aurait imprimé. On y a mené M. Deslon seul, pour qu’il le magnétisât, le jeune homme étant resté dans la maison avec une personne qui ne l’a pas quitté. On aurait désiré que M. Deslon ne fût pas présent à l’expérience, mais il a déclaré qu’elle pourrait manquer s’il ne dirigeait pas sa canne et ses regards sur cet arbre pour en augmenter l’action. On a pris le parti d’éloigner M. Deslon le plus possible et de placer des commissaires entre lui et le jeune homme, afin de s’assurer qu’il ne ferait point de signal et de pouvoir répondre qu’il n’y avait point eu d’intelligence. Ces précautions, dans une expérience qui doit être authentique, sont indispensables sans être offensantes.
On a ensuite amené le jeune homme, les yeux bandés, et on l’a présenté successivement à quatre arbres, qui n’étaient point magnétisés, et les lui laissant embrasser chacun pendant deux minutes, suivant ce qui avait été réglé par M. Deslon lui-même.
M. Deslon, présent et à une assez grande distance, dirigeait sa canne sur l’arbre réellement magnétisé.
Au premier arbre, le jeune homme interrogé au bout d’une minute, a déclaré qu’il suait à grosses gouttes; il a toussé, craché et il a dit sentir une petite douleur sur la tête; la distance à l’arbre magnétisé était environ de vingt-sept pieds.
Au troisième arbre, l’étourdissement redouble, ainsi que le mal de tête; il dit qu’il croit approcher de l’arbre magnétisé : il en était alors environ à trente-huit pieds.
Enfin, au quatrième arbre non magnétisé, et à vingt-quatre pieds environ de distance de l’arbre qui l’avait été, le jeune homme est tombé en crise; il a perdu connaissance, ses membres se sont roidis, et on l’a porté sur un gazon voisin, où M. Deslon lui a donné des secours et l’a fait revenir. »
Le rapport Bailly conclut donc en l’inexistence du fluide animal et le rôle unique de l’imagination dans la survenue des crises magnétiques et des effets thérapeutiques observés.
Conclusion du rapport Bailly
« Les commissaires ayant reconnu que le fluide magnétique animal ne peut être aperçu par aucun de nos sens; qu’il n’a eu aucune action ni sur eux-mêmes, ni sur les malades qu’ils lui ont soumis; s’étant assurés que les pressions et les attouchements occasionnent des changements rarement favorables dans l’économie animale, et des ébranlements toujours fâcheux dans l’imagination; ayant enfin démontré, par des expériences décisives, que l’imagination sans magnétisme produit des convulsions, et que le magnétisme sans l’imagination ne produit rien, il ont conclu, d’une voix unanime, sur la question de l’existence et de l’utilité du magnétisme, que rien ne prouve l’existence du fluide magnétique animal; que ce fluide, sans existence, est, par conséquent, sans utilité; que les violents effets que l’on observe au traitement public appartiennent à l’attouchement, à l’imagination mise en action, et à cette imitation machinale qui nous porte malgré nous à répéter ce qui frappe nos sens. Et, en même temps, ils se croient obligés d’ajouter, comme une observation importante, que les attouchements, l’action répétée de l’imagination, pour produire des crises, peuvent être nuisibles; que le spectacle de ces crises est également dangereux, à cause de cette imitation dont la nature semble nous avoir fait une loi; et que, par conséquent, tout traitement public où les moyens du magnétisme sont employés, ne peut avoir, à la longue, que des effets funestes.
A paris, ce 11 août 1784,
Signé : B. Franklin, Majault, Le Roy, Sallin, Bailly, D’Arcet, De Bory, Guillotin, Lavoisier. »
Le même jour la commission établit un rapport secret uniquement destiné au Roi, dans lequel elle dénonce de façon virulente le pouvoir des magnétiseurs sur leur sujet et le danger de cette pratique pour les bonnes mœurs.
Extrait du rapport secret
« L’homme qui magnétise a ordinairement les genoux de la femme renfermés dans les siens; les genoux et toutes les parties inférieures du corps sont par conséquent en contact. La main est appliquée sur les hypocondres, et quelquefois plus bas sur les ovaires; le tact est donc exercé à la fois sur une infinité de parties, et dans le voisinage des parties les plus sensibles du corps.
Souvent l’homme, ayant sa main gauche ainsi appliquée, passe la droite derrière le corps de la femme : le mouvement de l’un et de l’autre est de se pencher mutuellement pour favoriser ce double attouchement. La proximité devient la plus grand possible, le visage touche presque le visage, les haleines se respirent, toutes les impressions physiques se partagent instantanément, et l’attraction réciproque des sexes doit agir dans toute sa force. Il n’est pas extraordinaire que les sens s’allument; l’imagination, qui agit en même temps, répand un certain désordre dans toute la machine; elle surprend le jugement, elle écarte l’attention, les femmes ne peuvent se rendre compte de ce qu’elles éprouvent, elles ignorent l’état où elles sont.
Le traitement magnétique ne peut être que dangereux pour les moeurs. En se proposant de guérir les maladies qui demandent un long traitement, on excite des émotions agréables et chères, des émotions que l’on regrette, que l’on cherche à retrouver, parce qu’elles ont un charme naturel pour nous, et que physiquement elles contribuent à notre bonheur; mais moralement, elles n’en sont pas moins condamnables, et elles sont d’autant plus dangereuses qu’il est plus facile d’en prendre la douce habitude. Un état éprouvé presque en public, au milieu d’autres femmes qui semblent l’éprouver également, n’offre rien d’alarmant; on y reste, on y revient, et l’on ne s’aperçoit du danger que lorsqu’il n’est plus temps. Exposées à ce danger, les femmes fortes s’en éloignent, les faibles peuvent y perdre leurs moeurs et leur santé. »
Le travail des commissaires de la Société Royale de Médecine qui parut cinq jours après celui des commissaires de l’Académie des Sciences conclût dans les mêmes termes.
Extrait du rapport de la Société Royale de Médecine
« Il suit de la première partie de notre rapport :
Que le prétendu magnétisme animal, tel qu’on l’a annoncé de nos jours, est un système ancien, vanté dans les siècles précédents, et tombé dans l’oubli
Que les partisans du magnétisme animal, soit ceux qui ont proposé ce système, soit ceux qui l’ont renouvelé parmi nous, n’ont pu autrefois, et ne peuvent encore aujourd’hui fournir aucune preuve de l’existence de l’agent inconnu ou du fluide auxquels ils attribuent des propriétés et des effets, et que, par conséquent, l’existence de cet agent est gratuitement supposée
Que ce que l’on a nommé le magnétisme animal, réduit à sa valeur, d’après l’examen et l’analyse des faits, est l’art de faire tomber en convulsions, par l’attouchement des régions du corps les plus irritables et par les frictions que l’on exécute sur ces parties, les personnes très sensibles, après les avoir disposées à cet effet par des causes multipliées et concomitantes que l’on peut varier à volonté, et dont plusieurs sont seules capables de provoquer les convulsions les plus fortes dans certains cas et dans certains sujets…
Nous pensons :
Que la théorie du magnétisme animal est un système absolument dénué de preuves;
Que ce prétendu moyen de guérir, réduit à l’irritation des régions sensibles, à l’imitation et aux effets de l’imagination; est au moins inutile pour ceux dans lesquels il ne s’ensuit ni évacuations ni convulsions, et qu’il peut souvent devenir dangereux en provoquant et en portant à un trop haut degré la tension des fibres dans ceux dont les nerfs sont très sensibles;
Qu’il est très nuisible à ceux en qui il produit les effets que l’on a improprement appelés des crises; qu’il est d’autant plus dangereux que les prétendues crises sont plus fortes, ou les convulsions plus violentes, et les évacuations plus abondantes, et qu’il y a un grand nombre de dispositions dans lesquelles ces suites peuvent être funestes;
Que les traitements faits en public par les procédés du magnétisme animal joignent à tous les inconvénients indiqués ci-dessus celui d’exposer un grand nombre de personnes, bien constituées d’ailleurs, à contracter une habitude spasmodique et convulsive qui peut devenir la source des plus grands maux.
Que ces conclusions doivent s’étendre à tout ce que l’on présente en ce moment au public sous la dénomination du magnétisme animal, puisque l’appareil et les effets en étant partout les mêmes, les inconvénients et les dangers auxquels il expose méritent partout la même attention.
A Paris, ce 16 août 1784,
Signé : Poissonnier, Caille, Mauduyt, Andry. »
Les presses de l’Imprimerie Royale firent tirer et distribuer les rapports des deux commissions en quatre vingt milles exemplaires. On vit apparaître alors plusieurs rapports commentant les travaux des deux commissions. Un procureur général nommé Servant publia Doutes d’un provincial dans lequel il se livre à une défense spirituelle de la doctrine de Mesmer et prend à partie la médecine classique dont il juge les remèdes inefficaces (au vu des pratiques médicales de l’époque, la remarque est largement recevable).
Le rapport de la Société Royale de Médecine fut l’objet d’une critique élaborée de la part d’un des membres de la commission en la personne de Laurent de Jussieu qui refusa de signer le rapport rendu car bien que ne reconnaissant pas la réalité du fluide animal, il n’était pas satisfait par les opinions substituées à la doctrine de Mesmer. Laurent de Jussieu publia un rapport particulier un mois après le rapport de la Société Royale de Médecine, et Bertrand Alexandre commente ainsi ce rapport : « Le Rapport de M. de Jussieu donne la mesure de tout ce qu’un observateur judicieux, instruit et impartial, aidé d’ailleurs de toutes les facilités imaginables pour l’examen du magnétisme animal, pouvait trouver en sa faveur. Cependant ce rapport, fait dans des intentions si bienveillantes, mais fait par un homme qui plaçait l’intérêt de la vérité avant tout, était beaucoup plus contraire que favorable aux prétentions des magnétiseurs ».
Mesmer, quant à lui, se retira, après avoir échoué dans le traitement magnétique du prince Henri, avant de prendre définitivement congé de la scène magnétique ; après avoir âprement guerroyé avec ses anciens disciples et actionnaires de la société de l’Harmonie – dont il obtint une coquette somme pour finir ses jours allégrement – il quitta la France dans le courant de l’année 1885, « honni et vilipendé par la populace, souvent calomnié par les adversaires de sa doctrine, mais surtout maudit à bon escient par ses protecteurs et partisans, qui, toutefois dans un intérêt de secte facile à comprendre, se sont toujours entendus pour le proclamer grand homme »
ÉPISODE 3 – L’INVENTION DU SOMNAMBULISME ARTIFICIEL
Trois mois avant la publication du rapport Bailly, le marquis de Puységur découvre un nouvel état provoqué par les passes magnétiques sensiblement différent de la « crise magnétique » qu’il qualifie d’état somnambulique. Cet état avait été entre-aperçu par M. Jussieu dans les traitements de Deslon. Le marquis de Puységur était un souscripteur de la société de l’Harmonie où il avait appris la doctrine de Mesmer. Il se retire ensuite sur ses terres de Busancy prés de Soissons où il fait usage du magnétisme comme moyen de guérison, pour satisfaire l’affluence des villageois à ses traitements. Puységur magnétise un vieil orme sur la place du village qui devint bientôt la célébrité du canton. Le 4 mai 1784, un patient nommé Victor, après avoir été sujet à magnétisation pendant quelques minutes, au lieu de rentrer en crise magnétique, plonge dans un état de sommeil particulier dans lequel Victor est par exemple capable de parler. L’image du magnétisme et des magnétiseurs ayant été mise à mal par les rapports de l’Académie des Sciences et de la Société Royale de Médecine, certains conclurent à l’énoncé de la dernière trouvaille des magnétiseurs qu’il avait résolument perdu la tête. Les magnétiseurs, quant à eux, se concentrèrent presque exclusivement sur la recherche d’états somnambuliques et non de « crise magnétique ». Le nombre des sociétés de l’Harmonie et de leurs adhérents croit de façon importante, les traitements publics se multiplient notamment dans les villes de Lyon, Bayonne et Strasbourg dont les membres des sociétés de l’Harmonie approchent les deux cents. Cette montée en puissance du magnétisme animal via le somnambulisme fut stoppée par la révolution.
Après celle-ci, un certain nombre de magnétiseurs reprennent leur activité et produisent régulièrement des états somnambuliques, mais la pratique du magnétisme s’éloigne de plus en plus de la doctrine de Mesmer. En effet, il est de moins en moins fait référence au fluide universel dont la mise en évidence est problématique, en revanche la volonté du magnétiseur est décrite comme l’agent primordial dans l’obtention du sommeil magnétique, qui est désormais perçu comme le résultat direct de la volonté d’un homme agissant à distance et sans intermédiaire sur un autre homme. L’usage du baquet et des traitements publics sont peu à peu abandonnés au profit de traitement particuliers dans lesquels la parole apaisante du magnétiseur prend une part prépondérante. Deleuze, célèbre magnétiseur disciple de Puységur, décrit les techniques de base conduisant aux états somnambuliques et élabore un certain nombre de règles éthiques concernant la pratique du magnétisme dans son livre Instruction pratique sur le magnétisme animal. A la même époque, on observe l’apparition d’états somnambuliques suite à des actions très variées. A Lyon, M. le chevalier de Barbarin et ses disciples provoquaient ces états en priant autour du lit du malade. L’abbé de Faria qui rejette fermement la théorie du fluide animal utilise une technique beaucoup plus simple : après avoir installé confortablement le sujet, il lui enjoint de fermer les yeux et de ce concentrer sur l’idée de sommeil, après un temps d’attente il prononçait d’une voix forte et impérative « dormez ». Certains sujets étaient alors plongés en état somnambulique. Pour les sortir de cet état, il prononçait simplement « réveillez vous ».
Plusieurs sujets semblent voir leur état thérapeutique s’améliorer après avoir été plongés dans un sommeil somnambulique, mais plusieurs rappels font état de capacités extraordinaires développés par les sujets dans ces états particulier de conscience. Le marquis de Puységur attribua à Victor l’accès à des connaissances que son état habituel ne lui permet pas d’apprécier, il le déclare capable de porter un diagnostic sur sa maladie et de prescrire le traitement et en prévoir l’évolution. Certains somnambules étaient prétendument capables d’effectuer un diagnostic thérapeutique sur des personnes qu’ils avaient simplement touchées, ces capacités leur valurent le qualificatif de médecins endormis, plusieurs récits font référence à la vision à travers des corps opaques ainsi que le développement de perceptions sensorielles ne faisant pas intervenir les organes des sens. Les nouvelles manifestations du magnétisme animal furent suffisamment nombreuses pour conduire à un nouvel examen du magnétisme animal. En 1820 Dupotet et Récamier réalisent les premières expériences sur le magnétisme à l’Hôtel Dieu et mettent en évidence un état de non sensibilité des somnambules et constatent avec étonnement les capacités d’analgésie développées par ces patients. A la suite de ces expériences, et sous l’impulsion de Husson, l’Académie Royale de Médecine s’intéresse de nouveau au magnétisme et nomme en 1826 une commission chargée d’examiner les faits nouveaux du magnétisme. Après cinq années d’étude, Husson encourage les magnétiseurs par la publication d’un rapport favorable mais qui ne sera pas pour autant adopté par l’Académie, la référence aux capacités prétendues extrasensorielles des somnambules explique facilement les hésitations de l’Académie quant à l’adoption de ce rapport. Une nouvelle commission est nommée en 1837, dirigée par Dubois d’Amiens, la commission conclut en l’inexistence des capacités de clairvoyance et de vision à travers les corps opaques, porte très peu d’attention aux domaines thérapeutiques et finalement rejette l’existence d’un état particulier de somnambulisme magnétique.
Dans le courant des années 1870, le phénomène somnambulique réapparaîtra dans le domaine thérapeutique avec les études menées par Hyppolite Bernheim et de Charcot.
L’autre versant du domaine magnétique, celui du surnaturel, donna naissance à la métapsychique et plus tard à la parapsychologie.
Remarques conclusives
Les manifestations extraordinaires chez les sujets en état de somnambulisme : un regard sceptique
Personne ne peut aujourd’hui raisonnablement accréditer l’existence d’un fluide animal. Il n’en reste pas moins que les crises magnétiques ou les états somnambuliques provoqués par ces passes magnétiques étaient bien réels, leurs causes pouvant être attribuées à l’imagination. Que des processus d’imagination puissent produire des manifestations si spectaculaires, voila une découverte importante. Plusieurs améliorations dans l’état de santé de certains malades après avoir été traités par des magnétiseurs semblent bel et bien avoir été constatées. Comme nous l’avons vu, plusieurs expériences de l’époque tendaient à montrer que l’imagination à elle seule pouvait expliquer de telles guérisons. Ce que l’on appelle aujourd’hui « effet placebo » était sans doute au cœur du processus de guérison et on voit apparaître pour tester l’efficacité thérapeutique du magnétisme animal des substances « Placebo » comme l’arbre faussement magnétisé utilisé par la commission Bailly. Bertrand Alexandre constate que des effets identiques sont obtenus lorsque qu’il utilise un mouchoir quelconque et un mouchoir magnétisé par ses soins.
L’histoire du magnétisme animal est remplie d’histoires mystérieuses dans lesquelles le sujet magnétisé possède des pouvoirs que l’on pourrait qualifier de surnaturel. Dans le langage d’aujourd’hui, nous dirons que le sujet acquiert des facultés Psi (telles que la précognition ou la télépathie). On pourrait sans doute remplir des bibliothèques entières avec ces témoignages. Selon Bertrand Méheust, un long processus sociologique aurait conduit à la mise à l’écart de ces faits. Après une époque glorieuse, le magnétisme animal aurait été vidé de sa substantifique moelle et réduit aux phénomènes hypnotiques. Bertrand Méheust consacre deux tomes d’environ 600 pages au développement de cette thèse, l’article qu’il publie en 1996 dans la revue Alliage résume assez bien son propos.
Bertrand Méheust déplore l’absence de références aux récits relatant les capacités extraordinaires des sujets magnétisés, nous ne saurions trop conseiller la lecture du chapitre « le monde englouti » du premier tome de son ouvrage Somnambulisme et médiumnité pour un exposé du contenu de ces récits.
La philosophie et la sociologie des sciences sont un apport important dans la compréhension du développement de la science : elles permettent de mieux comprendre les mécanismes qui orientent sa pratique mais en aucun cas elles ne peuvent trancher à elles seules sur l’existence d’un phénomène. La grande majorité des scientifiques ignorent tout ou partie des principaux courants de la philosophie des sciences. Ce constat rend peu probable l’hypothèse d’un certain nombre de défenseurs de l’existence des phénomènes paranormaux, selon laquelle le choix des thématiques et la pratique de la recherche sont conditionnés par des principes philosophiques. Il faut avouer que ce type de raisonnement a largement été encouragé par la tendance de certains sceptiques à vouloir définir à tout prix des critères de scientificité à une théorie (le plus commun étant le critère d’irréfutabilité de Popper). En réalité, la production scientifique, y compris dans les articles les plus audacieux et novateurs, ne fait jamais référence à la philosophie pour justifier la pertinence des assertions décrites. L’argumentation sociologique et épistémologique de Bertrand Méheust ne peut avoir un sens qu’à partir du moment où la réalité des phénomènes décrits serait communément admise, même si la grand majorité des philosophes invoqués font partie de ceux qui accordent le moins d’importance aux faits pour analyser le développement de la science. Or la mise en évidence de la réalité d’un phénomène par un examen historique semble là aussi être difficilement envisageable. Le sceptique trouve curieux que l’on puisse admettre l’existence de phénomènes aussi extraordinaires par la simple étude d’une bibliographie si exhaustive soit elle. L’argument de Hume sur les miracles lui semble être une attitude tout à fait adaptée face à la lecture d’un texte rapportant un fait extraordinaire ; Jean Bricmont résume ainsi cet argument : « un miracle peut être considéré comme une violation des lois naturelles, notre confiance dans la validité de ces lois est entièrement fondé sur l’expérience et par conséquent est faillible Mais le témoignage qui atteste de leur violation est également entièrement basé sur l’expérience. Eh bien ! Nous avons tous eu l’expérience du fait que des gens se trompent ou nous trompent. Nous devons donc comparer la probabilité de deux événements : d’une part, la suspension momentanée des lois naturelles, d’autre part le fait que quelqu’un dans la chaîne des témoignages se trompe ou nous trompe. La probabilité penche toujours en faveur de la seconde hypothèse ». Bertrand Meheust évoque la critique faite par Deleuze dans laquelle il énonce la faiblesse d’un tel argument dans la mesure où il postulerait la connaissance exhaustive des lois naturelles, mais en réalité Hume ne postule rien de cela : son argument indique juste que le témoignage oral ou écrit ne peut accréditer à lui seul l’existence d’un phénomène extraordinaire. Le magnétiseur Bertrand Alexandre nous encourage dans une telle attitude sceptique lorsqu’il déclare « Je n’ignore pas que les magnétiseurs ne manqueront pas d’invoquer, en faveur de leur opinion, mille et mille faits particuliers pour prouver que des objets magnétisés ont produit sur des somnambules des effets tout à fait indépendants de l’imagination, puisqu’on les leur présentait sans qu’ils puissent savoir si ces objets avaient été imprégnés de fluide. Il n’y a guère de magnétiseur qui, une fois convaincu de la réalité de son agent, se fasse scrupule de s’appuyer sur des prétendus expériences qu’il n’a jamais faites telles qu’il les raconte » ; « Laissons donc la tous les faits particuliers, qui, surtout dans la question dont il s’agit, ne peuvent avoir aucune valeur pour quiconque ne les a pas sous les yeux ». La personne à qui l’on rapporte de tels témoignages doit donc exiger plus qu’un simple récit avant d’envisager de modifier sa connaissance des lois naturelles.
En outre, invoquer des raisons psychologiques pour expliquer le faible intérêt des scientifiques pour l’étude du paranormal glisse rapidement vers des procès d’intention tout à fait gratuits : «les rationalistes prétendent s’indigner de l’exploitation commerciale alors qu’en fait ils la recherchent, ils entretiennent un repoussoir » . Nous ne pouvons qu’encourager un retour à l’expérience pour trancher sur l’existence ou non d’un phénomène.
Références :
- Bertrand Alexandre, Du magnétisme animal en France et des jugements qu’en ont portés les sociétés savantes, JB balière, 1826
Lire plus particulièrement la préface : Comment l’auteur a été conduit à reconnaître que le magnétisme animal n’existe pas. Ainsi que l’intégralité du rapport Bailly - Patrick Bellet, L’hypnose, Odile Jacob, 2002
- Jean Bricmont, éditorial de Science et Pseudo-Sciences nº251, Un argument basé sur le sens commun, 2002
- Louis Figuier, Histoire du Merveilleux dans les temps modernes, Tome 3, 1860
- Louis Figuier, L’année scientifique et industrielle, p 348-378, 1879
- Entretien avec Bertrand Méheust : Une histoire des sciences psychiques sur le site Psiland
- Bertrand Méheust, Épistémologiquement Incorrect, Réflexions inactuelles sur la mise à l’index de la métapsychique, Revue Alliage, 28, 1996