Parapsychologie : science ou magie ?
James Alcock
Éditions Flammarion
380 pages
Parapsychologie : Science ou magie ? est sorti en 1981 ; sa version française date de 1989. Malgré son âge « avancé », le livre de James Alcock semble étrangement récent et plonge alors le lecteur dans l’apparent débat immobile* de la parapsychologie, où depuis près d’un siècle les mêmes hypothèses, les (presque) mêmes expériences, les mêmes interprétations, les mêmes réfutations, les mêmes discussions et les mêmes controverses semblent sans cesse recommencer.
James Alcock est professeur de psychologie à l’université de York au Canada. Il s’est intéressé à la parapsychologie dans le cadre de ses recherches sur les croyances. Avant d’analyser dans ce livre les études parapsychologiques menées des années 60 et 70, il consacre de longs chapitres à la psychologie de la croyance et de l’expérience, mais aussi à la faillibilité du jugement humain. Dans cette introduction plus généraliste où il explicite ce qu’est la « science » et ce que recouvre la « magie », il aborde les biais de raisonnement, de perception et d’expérience qui souvent convainquent de la réalité de phénomènes paranormaux. Ses éléments peuvent selon lui expliquer en partie la persistance des polémiques sur la scientificité et la validité des résultats de la parapsychologie.
Sans faire d’amalgame, il analyse avec précision les études de différents parapsychologues et relèvent certaines caractéristiques récurrentes : des erreurs méthodologiques dans les protocoles expérimentaux et le traitement des données, des interprétations problématiques et des explications ad hoc aux échecs (comme l’effet expérimentateur qui expliquerait que les sceptiques ne réussissent pas à mettre en évidence le psi). Si de telles erreurs se retrouvent dans d’autres domaines de la recherche scientifique, elles sont particulièrement importantes à pointer en parapsychologie car les résultats de cette discipline, s’ils étaient avérés, remettraient en question des connaissances solidement établies en biologie, physique, etc. Pour cette remise en question (toujours possible en science), la preuve avancée doit être incontestable. Le problème majeur reste donc, selon James Alcock, le fait qu’il n’existe toujours pas d’expérience rigoureuse, reproductible qui mette en évidence un phénomène psi. Il partage ainsi la vision de Hansel (1971) : « C’est une croyance en quête de données plutôt que des données en quête d’explication ».
*référence au livre de Marianne Doury Le débat immobile : l’argumentation dans le débat médiatique sur les parasciences (Éditions Kimé, 1997).
Citations
« Une des racines de la recherche métapsychique est […] le désir de combattre la vision du monde matérialiste, mécaniste, athée, scientifique, de plus en plus répandue, en prouvant scientifiquement que l’âme survit au corps. » (p. 55)
« À ceux qui méprisent ainsi la science, la parapsychologie offre un monde de pouvoirs métapsychiques qui n’ont pas à subir la contraintes des « lois de la nature » que la science propose. » (p. 67)
« Le danger n’est pas tellement dans les croyances elles-mêmes que dans l’absence de jugement critique. » (p. 72)
« Un sceptique tentera en vain de suggérer une explication rationnelle à celui qui croit avoir eu une expérience paranormale, car la reconstitution de l’expérience dans la mémoire laissera probablement de côté les détails nécessaires à cette explication. » (p. 139)
« Après un siècle de recherches, la parapsychologie a échoué à développer tout théorie cohérente, à produire des hypothèses vérifiables, à établir des normes qui permettent de distinguer spéculation créative et pensée magique. » (p. 230).
« La leçon immédiate que l’on peut en tirer est que les effets psi observés à ce jour pourraient bien n’être que les manifestations des caprices du hasard. » (p. 285)
« s’il est impossible d’établir de quelle façon l’on peut provoquer l’intervention du psi, ni les conditions qu’elle exige, ni le moment où le psi ne peut pas être observé, s’il est impossible de prédire son apparition en fonction de conditions initiales, il ne peut y avoir de régularité. » (p. 305)
Interview de l’auteur
OZ – Pourquoi vous êtes vous intéressé à la parapsychologie et dans quel but avez vous écrit ce livre ?
JA – Comme professeur de psychologie, je m’intéressais longtemps à la formation et à la maintenance de convictions, surtout faute de bonne preuve. Les croyances paranormales correspondent à cette catégorie et le fait qu’elles concernent beaucoup de personnes bien-instruites les rend d’autant plus intéressantes.
OZ – Dans une critique parue dans le Bulletin métapsychique de l’Institut métapsychique international (n°3, septembre 2007), tout en conseillant la lecture de votre livre, l’auteur rapporte que pour vous, les parapsychologues manquent d’esprit critique, manipulent les données et trouvent toujours une explication ad hoc en faveur du psi. Est-ce véritablement votre point de vue ?
JA – Non, pas complètement. Je connais des parapsychologues qui ont la compétence méthodologique excellente dans l’étude tant de la psychologie que de la parapsychologie, et ils sont très soigneux dans leurs recherches et dans leurs rapports. Malheureusement, il y a d’autres qui manquent clairement de cette expertise.
Quant à la manipulation de données, il y a un problème que j’observe plutôt souvent dans la littérature de parapsychologie : le chercheur commence par une hypothèse particulière, mais si cette hypothèse n’est pas soutenue par les données, il trouve d’autres aspects des données qui pourraient peut-être refléter des influences paranormales (mais peut-être, simplement les fluctuations statistiques, étant donné qu’elles n’ont pas été prédites) et ensuite, c’est pris comme la preuve que les influences paranormales ont été effectivement impliquées. C’est clairement inacceptable. L’approche correcte serait de former de nouvelles hypothèses basées sur ces données et les mettre à l’épreuve.
De nouveau, bien trop souvent on trouve des explications ad hoc pour expliquer pourquoi un effet prédit ne s’est pas produit. Il n’y a aucun problème avec l’offre des spéculations, mais il y a un problème si l’on prend cette absence d’effet en faveur d’une hypothèse comme la preuve de la présence d’un effet paranormal, l’effet d’expérimentateur par exemple.
OZ – À de nombreuses reprises, nous avons demandé à des parapsychologues de nous fournir une référence de publication d’une expérience mettant en évidence le psi. La réponse n’a jamais été claire. Nos interlocuteurs évoquent à la place d’une preuve probante, un faisceau de présomptions en faveur de l’existence du psi. Que pensez-vous de cet argument ?
JA – Il ne faut jamais compter sur les présomptions. Au départ, la plupart des physiciens n’ont pas accepté la théorie de relativité – ils ont rejeté les présomptions, parce qu’elles ont été trop impossibles pour croire ! À présent, chacun l’accepte parce que cette idée très radicale a été soutenue régulièrement par les données. Dans beaucoup d’autres cas dans la science, les présomptions se sont révélées être incorrectes. Les présomptions sont utiles pour guider notre recherche, mais si elles ne peuvent pas être confirmées empiriquement, elles ne sont plus utiles.
OZ – Pourquoi malgré l’absence de résultats probants et d’applications selon vous, la recherche en parapsychologie perdure-t-elle ?
JA – À mon avis, l’effort est fait pour justifier ce que les chercheurs croient déjà – c’est-à-dire qu’il y a un aspect à notre existence qui est plus que la chair et le sang, un aspect non-matériel. L’absence de données empiriques n’entame jamais l’enthousiasme d’atteindre ce but.
OZ – Finalement, la parapsychologie est-elle une science, une pseudo-science ou autre chose ?
JA – Bien que j’aie conclu dans mon livre que c’est une pseudo-science, je dirais maintenant qu’il y a certains parapsychologues qui prennent une approche plutôt scientifique, mais comme tous les scientifiques, se trompent quelquefois, et ils sont quelquefois désorientés (misguided). Il y a d’autres dont l’approche est clairement pseudoscientifique. Pourtant, dans mon esprit, il n’y a pas de « science » de parapsychologie, car chaque science doit avoir au moins quelques données incontestables. La parapsychologie n’a jamais produit d’expérience qui puisse être répétée par des scientifiques neutres avec fidélité. Les théories parapsychologiques n’ont pas de sens du point de vue de la science normale. En effet, si la parapsychologie est correcte, il y a des erreurs fondamentales dans la physique, la biologie, les neurosciences, etc. et donc on aurait besoin de bonnes données pour être capable d’accepter les théories parapsychologiques. (La théorie d’Einstein, évoquée ci-dessus, a été finalement soutenue par les données solides).
OZ – Si vous rééditiez ce livre aujourd’hui, que changeriez ou rajouteriez-vous ?
JA – Je changerais la discussion sur science/pseudo-science. Les critères de Bunge que j’ai utilisés sont trop ad hoc. Je développerais bien plus ce qui concerne la formation et la maintenance des croyances. Je ferais une meilleure discussion sur les origines de magie et de religion. Je complèterais mes critiques sur la méthodologie des recherche en parapsychologie (tel de que je l’ai écrit dans le livre récent, Psi Wars).
Propos recueillis par Géraldine Fabre