Écrit par Frédéric Bachelier
Lundi, 26 Décembre 2011
C’est bien connu, et de multiples exemples émaillent l’imaginaire collectif (littérature, cinéma), à tel point que même des secouristes ou des guides de montagne vous le confirmeront : « quand on est perdu en forêt ou en montagne dans le brouillard, on tourne généralement en rond. » D’ailleurs sur le site de Québec Secours, les consignes mettent en garde les randonneurs contre ce risque. Mais qu’en est-il vraiment ?
Jusqu’à récemment, il n’existait pas d’étude pour confirmer ou infirmer cette affirmation. Voici du nouveau grâce à Jan Souman[1], Ilja Frissen, Manish Sreenivasa et Marc Ernst, chercheurs en cybernétique biologique[2] à l’Institut Max Planck, qui ont eu l’idée de soumettre cette idée à l’étude en 2009.
Résumé de l’étude
Leur étude a consisté à tester la capacité humaine à marcher en ligne droite dans des environnements inconnus (comme une grande forêt allemande ou le désert du Sahara), dans différentes conditions. La méthode de vérification reposait sur l’utilisation du GPS. Sans repère connu et lorsque le soleil ou la lune n’était pas visible (forte nébulosité en journée et nuits sans lune), il a été vérifié que lors de marches de relative longue durée, les trajectoires n’étaient absolument pas rectilignes, voire étaient effectivement des cercles. Par contre, lorsqu’ils marchaient pendant des journées ensoleillées ou des nuits où la lune était visible, les participants arrivaient à conserver leur orientation et à marcher selon une ligne. Les chercheurs ont voulu tester différentes explications (asymétrie dans le cerveau ou même asymétrie biomécanique).
Étude de trajectoires en terrain inconnu
Six premiers participants à l’étude (RF, PS, KS et AY) ont été testés dans une zone forestière, au terrain sans dénivelé et au sous-bois de densité variable. Il leur était demandé de suivre une direction rectiligne définie au départ, et ils étaient équipés de GPS pour enregistrer leur trajectoire. Quatre ont marché sous un ciel couvert pendant près de quatre heures. Ces quatre volontaires ont effectivement échoué à maintenir une trajectoire en droite ligne et ont même tourné en rond (voir figure 1 ci-dessous). Par contre, les deux autres participants (MJ et SM) ont marché lors d’une journée ensoleillée. Et à part pendant les quinze premières minutes, pendant lesquelles le soleil était caché par des nuages, leurs trajectoires sont restées très droites.
Trois autres volontaires (SK, IK et KB) ont marché dans le désert du Sahara, dans le sud de la Tunisie (voir figure 2 ci-dessus). Les deux qui ont marché pendant la journée, sous le soleil, ont quelque peu dévié de la direction demandée, mais relativement légèrement. Le troisième a marché de nuit, sous la pleine lune, au moins au début. Initialement sa trajectoire était droite, puis lorsque la lune est devenue invisible, sa trajectoire est devenue chaotique.
Ces résultats suggèrent que l’existence d’un repère extérieur (soleil ou lune) est une aide indispensable pour conserver sa trajectoire en terrain inconnu. Et ainsi ils fournissent la première preuve empirique confirmant la croyance populaire, même si les « cercles » ne sont pas réellement circulaires, mais plutôt une trajectoire chaotique avec des courbes et des changements de direction relativement brusques.
Étude des causes possibles
Bien qu’aucune étude scientifique n’ait été menée par le passé sur ce phénomène plusieurs explications ont été avancées. Elles reposent sur l’asymétrie des jambes (nous avons tous une jambe plus courte que l’autre) ou sur une asymétrie dans le cerveau, qui produirait un biais systématique faisant tourner toujours dans le même sens.
Pour tester ces hypothèses d’un biais systématique, ils ont demandé à des volontaires de marcher les yeux bandés. Quinze personnes devaient marcher et conserver la direction indiquée au départ pendant cinquante minutes. Les résultats montrent qu’en fait de biais, il n’y en avait pas qui soient systématiques. En effet, les trajectoires étaient très largement erratiques. Seulement trois participants ont montré une tendance à dévier toujours dans le même sens. Alors que la plupart avaient des trajectoires ne suivant pas de tendance particulière. Ils avaient tous des trajectoires courbes, mais avec des changements vers la droite ou la gauche, et parfois se mettaient à faire des cercles, qui pouvaient mesurer moins de 20m de diamètre (voir figure 3 ci-dessus).
Sans repère visuel ou auditif, les participants aux yeux bandés ne pouvaient compter que sur leurs perceptions sensorielles (information vestibulaire ou proprioception). Les êtres humains sont capables de marcher vers une cible relativement précisément, mais seulement jusqu’à une distance de 20m. Au-delà, et quelle que soit la durée de leur marche, les humains, tout comme les animaux, n’arrivent pas s’éloigner de plus d’une centaine de mètres de leur point de départ, et se mettent soit à tourner en cercle, soit à marcher de manière erratique. Il semble que le sens de l’orientation, et donc le maintien de la direction initiale, sont perturbés.
La forte variabilité des courbures et des sens de rotation contredisent l’idée d’un biais systématique, ce qui réfute l’explication biomécanique basée sur une asymétrie des jambes, ou qu’en tout cas cette explication n’est pas suffisante pour expliquer ces déviations. Cette conclusion a été renforcée par des tests complémentaires faits pour mesurer la différence de force entre les jambes, ainsi que celle sur la longueur des jambes des volontaires. Concernant la différence de force, les mesures faites n’étaient pas corrélées avec le rayon de courbure moyen des trajectoires. Et même le fait d’avoir un pied d’appui à droite ou à gauche n’était pas corrélé au sens de rotation des cercles. Concernant l’asymétrie de longueur, elle a été mesurée à moins d’un millimètre pour une des personnes et pour tous des semelles de douze millimètres ont été insérées dans leurs chaussures. Les résultats n’ont pas montré de différence significative.
Conclusion
Ces résultats montrent que, sans repère externe les permettant de se diriger, les humains ont tendance à tourner en rond. Alors qu’avec des repères comme le soleil, ils sont capables de maintenir une trajectoire rectiligne. Toutefois, dans des situations d’urgence, de panique, sous l’effet d’un état émotionnel perturbé ou de facteurs sociaux particuliers (mouvements de foule), il arrive que des personnes se mettent à tourner en rond, alors même que de tels repères sont présents.
Frédéric Bachelier
Référence :
Walking straight into circles, Current Biology 19, 1538–1542, 29/092009, DOI 10.1016/j.cub.2009.07.053
Notes :
[1]. http://www.kyb.mpg.de/nc/employee/details/souman.html
[2]. http://wikipedia.qwika.com/en2fr/Biological_cybernetics