Écrit par Nicolas Vivant |
Nous sommes régulièrement mis à contribution pour la résolution de mystères ayant pour origine une photographie. Ce type de travail n’est pas toujours facile. Nombreux sont ceux qui laissent leur interprétation de l’image l’emporter sur l’objectivité de ce qui est représenté et nous n’échappons pas forcément à la règle. Mais si on ne peut effectivement pas faire l’économie de l’interprétation, puisqu’il faut bien, in fine, se prononcer sur ce qui nous semble être l’explication la plus probable de ce qui est observé, il convient de prendre, lors du travail de collecte de l’information, un certain nombre de précautions indispensables. La rigueur du travail et la qualité des conclusions dépendent grandement des outils utilisés, des connaissances (en optique, par exemple), mais aussi et surtout de la méthodologie déroulée. C’est cette méthodologie que j’essaie de vous présenter dans cet article, en prenant pour exemple un travail de recherche récent. [Nota : les photos de cet article sont publiées avec l’autorisation de leur auteur. A sa demande, les visages ont été floutés et les noms ont été modifiés. La série complète est accessible sur cette page.] Le point de départ d’une enquête de ce type est donc une photographie sur laquelle apparaît quelque chose qui est rapporté comme « étrange » par la personne qui la présente et pour laquelle il n’existe pas d’explication satisfaisante au premier abord. La photo qui m’a occupé ces derniers jours se trouve ci-dessous. La question qui m’est posée : qu’elle est cette forme blanchâtre bizarre ? Pourrait-ce s’agir d’un « esprit » ? Comment procéder ? Étape 1 : s’assurer que l’on dispose bien de la photo originale La toute première photo qu’on m’a fait passer avait été floutée par l’auteur. Problème : la modification d’une photographie fait, en général, disparaître les fameuses données EXIF dont Florent Martin nous a expliqué l’importance dans un article précédent. Ces données sont précieuses, notamment parce qu’elles contiennent des informations sur les dates et heures, le type d’appareil, les conditions techniques de la prise de vue (présence du flash, ouverture, vitesse, etc.). Étape 2 : interroger le contact, échanger, expliquer la méthodologie Quel est le contexte ? Quelle est la date ? Quel est le lieu ? Qui sont les personnages présents ? Quelle était l’ambiance ? Essayer d’obtenir le plus d’informations possibles et tenter d’en dégager des hypothèses. Les noter au fur et à mesure. Demander à votre contact d’évaluer les différentes hypothèses qui vous viennent à l’esprit. Noter ses réponses et observations. Cet échange est important. Il apporte de nombreux éléments sur le contexte. Il ne faut pas négliger les détails apportés par votre contact. Mais il faut également garder à l’esprit que tout témoignage est potentiellement sujet à des erreurs. Dans cette enquête, mon interlocuteur m’a bien précisé que les bougies ont été soufflées après l’ouverture des cadeaux, ce que j’ai pu vérifier. Mais quand je l’ai interrogé sur la présence d’adulte fumant dans la pièce, il m’a dit qu' »en général » on se rendait dans la cuisine pour fumer. Pourtant, SUNP0310.JPG montre une personne, cigarette allumée à la main. La bonne foi de mon témoin n’est pas en cause, et je suis convaincu qu’on fume plutôt dans la cuisine habituellement. Mais une erreur est toujours possible. Une photo est un instantané, un temps spécifique dans un contexte plus large, que ce soit au niveau de l’espace ou du temps. La photographie dont je dispose, par exemple, a été prise lors d’un anniversaire. Des clichés ont probablement été réalisés avant et après celle-ci. Je contacte donc mon interlocuteur et lui demande de bien vouloir me fournir toute la série de photos prises lors de cet anniversaire, ce qu’il fait avec beaucoup de gentillesse. Je m’engage évidemment, si je les utilise, à les anonymiser. Comment s’assurer, avec le moins de chances possibles de se tromper, qu’on dispose bien de toute la série ? Les appareils numériques numérotent les photos de façon incrémentale. Très souvent, et sous réserve que toutes les photos ont bien été conservées, on disposera donc de noms de fichiers numérotés. Dans l’affaire qui me préoccupe, je dispose des photos suivantes : Étape 4 : mettre la série de photographies dans l’ordre chronologique Obtenir une série complète de prises de vue permet de situer la photographie à étudier dans l’espace, à mieux cerner les acteurs et les paysages, à s’imprégner autant que possible de l’environnement. Mais il ne faut pas négliger le contexte temporel. La photo s’inscrit dans l’espace, mais aussi dans le temps. Illustration : dans l’affaire que je prends en exemple, mon hypothèse de vraisemblance maximale est que ce qui est vu sur la photo est une volute de fumée. Or, dans la série, je dispose d’un cliché qui colle bien avec cette supposition, c’est celui-ci : Quand j’interroge mon contact, il m’explique que ce n’est pas possible puisque les bougies ont été soufflées après l’ouverture des cadeaux. Comment le vérifier ? Tout simplement en classant les photos dans un ordre chronologique afin de reconstituer le déroulement des faits. Pour ce faire, on favorisera les informations de temps présentes dans les données EXIF plutôt que les dates de création et modification de fichiers, souvent trompeuses. Dans mon exemple, je me rends compte que la photo à étudier a été prise 49 minutes avant que l’enfant souffle ses bougies. Exit, donc, l’hypothèse de la fumée des bougies qui, si elles avaient été allumées 49 minutes auparavant, seraient dans un piteux état. Voici ce que donne la série, après classement : Analyse temporelle de notre exemple :
Étape 5 : observer le déroulement général des évènements Cette étape permet d’obtenir un fil conducteur. Quelle est l’évolution globale de l’évènement ? Les différentes hypothèses établies ne sont-elles pas contredites par le déroulement des faits (comme dans le cas des bougies) ? Observer les variations de lieu, de luminosité, de public, etc. Application à notre cas :
Étape 6 : observer l’attitude de chacune des personnes, prise indépendamment… … et comment elle évolue dans la série. Ne pas oublier que le photographe prend également part à l’évènement, et qu’il peut en être acteur, et pas seulement témoin, entre deux prises de vues. Les écarts de temps entre deux photos sont des indices à ne pas négliger. Ils peuvent renseigner sur les déplacement du (ou de la) photographe, et surtout donner une idée réelle du temps entre chaque fait (14 photos sont prises à la suite, puis 3 beaucoup plus tard, dans notre exemple). Que font chacune des personnes présentes, tout au long de la série ? Application :
Étape 7 : observer les variations dans la disposition des objets Des objets sont-ils déplacés ou saisis par les gens ? Certains apparaissent-ils ? Certains ont-ils disparu ? Les meubles sont-ils toujours placés de la même façon ? Dans notre cas, on note la présence de bouteilles, canettes, verres, paquets de cigarettes, téléphones portables, cendrier, 1 freebox HD, 1 console de jeux, 1 téléviseur, 1 cahier jaune, 1 vase, 1 presse papier, 1 plante, etc. Un objet est déplacé dans la série : le cendrier. Étape 8 : tester les différentes hypothèses Sur la base des renseignements et données récoltées, vérifier qu’aucun artefact connu (reflet, orbs, défaut matériel, etc.) ne peut être à l’origine du phénomène observé, puis s’assurer que les hypothèses que vous avez pu dégager ne sont pas contredites par les faits. Veiller à rester ouvert à toute autre hypothèse, ne pas fermer le champ des possibilités. Biais connus, pour ce qui concerne les photographies de ce type :
Hypothèses dans notre exemple :
Restent :
Étape 9 : dégager l’hypothèse qui vous semble la plus probable Votre hypothèse est celle qui doit correspondre le mieux, à la fois à ce qui est observé sur la photographie de départ, mais aussi au déroulement des faits, placés dans leur contexte. Essayez de placer correctement votre curseur de vraisemblance, utilisez le rasoir d’Occam. Commencez par tester les hypothèses les moins « étranges » (celles qui vous semblent les plus évidentes) et les moins coûteuses d’un point de vue cognitif (celles qui restent dans le champ scientifique) avant de vous aventurer sur des hypothèses plus osées. Hypothèse la plus probable : Étape 10 : la proposer à votre contact, en étayant votre propos …et lui demander son avis. Cette étape est très importante, par respect pour la personne qui vous a fait confiance en dévoilant son histoire, et parce que c’est avant tout pour elle que vous faites ce travail. Étape 11 : conclure Penser à bien étayer votre propos, mais aussi à préciser le point de vue de votre contact sur cette hypothèse qui est la vôtre et qui concerne une histoire qui est la sienne ! Conclusion dans le cas qui nous préoccupe : J’ai cherché à vérifier l’hypothèse de la présence d’une fumée dans la pièce. Les bougies n’étant pas à l’origine de cette fumée, j’ai cherché d’autres facteurs.
On peut donc raisonnablement penser que quelqu’un s’est saisi du cendrier pour fumer, hors du champ de l’appareil photo. Il est très probable que des volutes de fumée, non remarquées avec l’éclairage artificiel de la pièce, aient été mises en évidence par le flash lors de la prise de la photographie. On note d’ailleurs la présence du phénomène dès la photo SUNP0301.JPG, au dessus de la tête de la fillette, mais de façon beaucoup plus difficile à percevoir. L’illustration ci-dessous montre les déplacements du cendrier sur les clichés intéressants. Étape 12 : publier, le cas échéant … si la personne qui vous a contacté est d’accord, et avec toutes les précautions qu’elle souhaitera apporter dans le rapport (personnes et lieux anonymisés, publication restreinte ou générale, etc). Nicolas Vivant |
Photographie de fantôme : comment enquêter ?