Psychologie de la vie quotidienne

Jacques VanRillaer

Odile Jacob (2003)

Jacques Van Rillaer est psychologue, professeur à l’Université de Louvain-la-Neuve en Belgique et aux Facultés universitaires Saint-Louis. Il a pratiqué la psychanalyse freudienne pendant plusieurs années avant de s’orienter vers les thérapies comportementales et cognitives. Dans Psychologie de la vie quotidienne, réédité en 2003, il dresse un bilan succinct des connaissances en psychologie acquises depuis plus d’un siècle. Ce livre constitue donc une introduction à la psychologie scientifique, qui passionnera les lecteurs qui ne connaissent de la psychologie que ce que le sens commun en véhicule.

Même si les principes de cette psychologie « naïve » ou « intuitive » ne sont pas tous faux, ils sont très réducteurs. Vous apprendrez par exemple que pour analyser un comportement, il est en fait nécessaire de tenir compte des six variables de l’ « équation comportementale » : les stimuli, les cognitions, les affects ou émotions, les actions, les conséquences et l’état de l’organisme. Ces variables constituent autant de paramètres sur lesquels il est possible d’agir pour soigner une phobie, un trouble du comportement, etc.
La psychologie, que Jacques Van Rillaer définit comme la « science du comportement et des processus mentaux » est une science relativement jeune qui a pour ambition d’étudier nos comportements à l’aide de la méthodologie scientifique. Elle s’efforce par exemple de vérifier par l’expérimentation les hypothèses, parfois trop facilement admises. Dans ce livre, on apprendra donc que des études scientifiques ont été menées sur des questions telles que : révéler un secret soulage-t-il ? Parler de nos problèmes nous aide-t-il à les résoudre ? Refoule-t-on des souvenirs désagréables ? L’introspection permet-elle une meilleure connaissance de soi ? Les réponses obtenues sont parfois très surprenantes…

Accessible et clair, cet ouvrage de Jacques Van Rillaer est à conseiller à tous ceux qui n’ont de la psychologie que cette vision simpliste de l’opposition « Mars/Vénus » ou obscurantiste de la psychanalyse.


Citations


« La recherche scientifique ne produit pas des vérités absolues, mais dans le meilleur des cas, des connaissances amplement vérifiées par des faits soigneusement observés. » (p. 11)

« Une des stratégies les plus anciennes, pour limiter les comportement égocentriques et promouvoir des comportements altruistes, est l’implantation de croyances religieuses. » (p. 25)

« Le recours à l’« Inconscient » comme explication ultime universelle est comparable à l’usage d’un marteau que peut en faire un enfant, qui découvre la facilité et le plaisir de donner des coups : n’importe quoi convient n’importe quand. » (p. 50)

« Les lois de la psychologie sont toujours probabilistes. Le caractère relativement indéterminé des probabilité n’exclut toutefois pas a priori la possibilité d’une science rigoureuse. » (p. 60)

« Si la grandeur de la psychologie réside dans la découverte de lois du fonctionnement des comportements et l’utilisation que des hommes de bonne volonté peuvent en faire pour mieux vivre, sa misère tient, pour une large part, au dogmatisme et à l’obscurantisme d’une partie de ses représentants, plus disposés à croire et à faire croire qu’à observer, écouter et vérifier, de façon méthodique, patiente, honnête et respectueuse. » (p. 65)

« Lorsque nous avons commis une faute, nous avons tendance à nous justifier par des facteurs situationnels (pas exemple, la difficulté insurmontable ou la malchance). Lorsque nous avons accompli une action qui suscite l’éloge, nous avons tendance à invoquer des facteurs personnels (nos qualités ou nos efforts). Les psychologues appellent « biais de complaisance » cette tendance à se percevoir comme la cause de ses succès et à attribuer ses échecs à des facteurs externes. » (p. 116)

« Pour changer des traits de caractères, il est nécessaire d’apprendre de nouveaux comportements ». (p. 132)

« Le fait qu’une grande partie de nos comportements et de leurs déterminants est « inconsciente » n’est pas un argument péremptoire pour les interprétations « profondes » que débitent si facilement des psys et leurs imitateurs. » (p. 154)

« Freud rappelle que l’important, ce sont les fantasmes inconscients et non la réalité des faits. Cette « dialectique » rend « irréfutable » sa théorie de la causalité sexuelle des troubles mentaux. […] La théorie freudienne est séduisante, elle n’est pas scientifique. » (p. 187)

« Il suffit parfois de poser des questions sur des faits inexistants pour susciter leur visualisation mentale et leur souvenir. » (p. 203)


Interview de l’auteur


Observatoire zététique – À qui s’adresse votre livre « Psychologie de la vie quotidienne » ?

Jacques Van Rillaer – L’ouvrage a l’ambition, qui n’est pas mince, d’être lisible mais aussi utile pour un très large public.

OZ – Ce livre est-il votre « réponse » au livre de Sigmund Freud « Psychopathologie de la vie quotidienne : Application de la psychanalyse à l’interprétation des actes de la vie quotidienne » ?

JVR – L’allusion au titre de l’ouvrage le plus populaire de Freud est évidente. Une idée centrale de mon livre est d’expliquer une très grande partie des comportements, y compris fort problématiques, par des processus « normaux », plutôt que de « pathologiser » la vie quotidienne, comme Freud le fait. Le contenu de l’ouvrage est toutefois beaucoup plus large que les thèmes abordés par Freud dans son livre. Je parle des conditions psychologiques du bonheur, de la conscience, de la publicité subliminale, des faux souvenirs, des principes de la gestion de soi et de bien d’autres choses.

OZ – Vous avez vous-même été durant de longues années psychanalyste avant de vous tourner vers les thérapies comportementales et cognitives. Qu’est ce qui a motivé ce changement d’orientation ?

JVR – J’ai pratiqué la psychanalyse freudienne pendant une dizaine d’années. Mon scepticisme est né de l’observation de thérapies comportementales de phobies, pratiquées dans une université hollandaise, où je travaillais en 1968. J’ai constaté que la disparition de phobies par la thérapie comportementale est durable et ne provoque pas « une substitution de symptômes ». J’ai même pu observer un effet « boule de neige » positif. Le patient qui avait fait disparaître sa phobie des araignées développait son sentiment d’efficacité personnelle. Sa phobie d’autres insectes qui lui faisaient moins peur, par exemple les cloportes, disparaissait très facilement.
D’autre part, à la fin des années 1970, j’ai voulu publier un bilan de la psychanalyse, voir ce qui était bien vérifié et ce qui ne l’était pas. J’ai alors découvert que la majorité des énoncés les plus intéressants de Freud (du genre, les enfants ont déjà très tôt des activités sexuelles, des lapsus traduisent une pensée réprimée, etc.) étaient repris à des prédécesseurs ou à des contemporains, tandis que quasi toutes les propositions spécifiquement freudiennes (par exemple, que tous les rêves sans exception traduisent un désir) étaient réfutées.
Par ailleurs, j’apprenais par Henri Ellenberger que le cas princeps de la psychanalyse, Anna O., prétendument « guérie de tous ses symptômes », avait été en réalité un lamentable échec, maquillé en extraordinaire succès.
Enfin, des recherches anglo-saxonnes sur les effets des psychothérapies montraient que la psychanalyse ne faisait pas mieux que d’autres psychothérapies et que, compte tenu des coûts en temps et en argent, ses résultats étaient même moins bons.

OZ – Comme de nombreuses psychothérapies, la psychanalyse prétend soigner par la parole en recherchant les causes inconscientes de nos pathologies. La parole et l’introspection soulagent-t-elles véritablement ?

JVR – Comme je l’explique dans le chapitre « parler, penser, agir », le fait de pouvoir parler et exprimer des émotions est important. Pour certaines difficultés psychologiques cela peut suffire, raison pour laquelle beaucoup de psychothérapies obtiennent des résultats positifs. Toutefois, dans nombre de cas, il faut aussi apprendre à faire activement des « restructurations cognitives », c’est-à-dire interpréter et penser d’une nouvelle façon. Enfin, il y a une série de troubles psychologiques, par exemple les phobies et les rituels compulsifs, où l’expérimentation de nouvelles actions avec l’aide d’un thérapeute est indispensable pour progresser résolument.

OZ – Quels sont les dangers de ces thérapies qui nous font remuer le passé ?

JVR – Il y a une série de troubles pour lesquels il faut avoir le courage de reparler assez longuement du passé. C’est notamment le cas lorsque la personne a subi des traumatismes importants. Par ailleurs, une réflexion sur les normes qu’on nous a inculquées dans l’enfance permet de prendre une certaine distance à leur égard. En un mot, le bon thérapeute doit pouvoir revenir sur l’histoire de la personne qu’il tente d’aider. Toutefois, passer beaucoup de temps dans la remémoration peut avoir pour fonction d’éviter d’essayer de nouveaux comportements. Par ailleurs, dans le cas de dépressions et de bien d’autres troubles, il peut être vraiment néfaste de triturer indéfiniment le passé avec le vain espoir qu’une découverte « archéologique » fasse disparaître automatiquement les problèmes.

OZ – qu’est ce qui peut expliquer la persistance de la psychanalyse en France ? Pourquoi est-il si mal perçu de la critiquer ?

JVR – Il y a plusieurs raisons, notamment celles-ci :
– Les professeurs de philo exposent la théorie freudienne dans les lycées, souvent sans faire de critiques scientifiques ni même philosophiques. Or, si je ne me trompe, la France est le seul pays au monde où les lycéens ont un cours de philosophie.
– Le goût de la parole, de la philosophie, des polémiques chez bon nombre d’intellectuels.
Dans les pays anglo-saxons, un nombre important d’intellectuels estime qu’il faut se méfier du « discours » et que l’essentiel est la vérification empirique et les applications pratiques. C’est en tout cas très typique si l’on compare la France et les Pays-Bas ou, à une plus petite échelle, les populations flamandes et francophones de Belgique.
Il y a surtout l’impact de Jacques Lacan :
Lorsque l’Association internationale de psychanalyse n’a plus reconnu à Lacan le droit de faire des didactiques (parce que ses séances ne duraient que quelques minutes), Lacan a fondé sa propre Ecole (en 1964) et a octroyé généreusement le titre de psychanalyste à tous ceux qui le voulaient, sans qu’ils aient préalablement fait des études de psychiatrie ou de psychologie. Aujourd’hui, les lacaniens, très nombreux, font la loi en matière de psychanalyse et de psychothérapie. Je rappelle que, pour plaire au gendre de Lacan, le ministre Douste-Blazy est allé jusqu’à retirer du site du ministère de la santé la première grande étude, réalisée par l’Inserm, sur les effets des psychothérapies.
En 1968, Lacan a connu un succès considérable à la faveur de la révolution de mai. Il s’est alors montré le grand défenseur du Désir. Remarquons que la glorification lacanienne du Désir et de la « Jouissance » diffère sensiblement de la doctrine de Freud. Le père de la psychanalyse n’a pas prôné le plaisir et l’égoïsme sans retenue. Il affirmait qu’une vie selon le principe de plaisir est impraticable. Le but qu’il assignait à la cure est « le domptage de la pulsion en conflit avec le moi » et « son intégration au moi, de sorte qu’elle ne suive plus ses propres voies vers la satisfaction. » La psychanalyse, ajoutait-t-il, « révise les anciens refoulements » et « construit de nouvelles digues, plus solides que les premières ».
Je tiens à souligner que c’est en France qu’a été conçu Le Livre noir de la psychanalyse , un ouvrage de 830 pages, le plus fouillé qui soit sur les failles de la psychanalyse. Son impressionnant succès montre que beaucoup de Français sont parfaitement capables de remettre en question des doctrines établies.

OZ – Nos comportements sont-ils vraiment la cause d’un seul facteur (réaction à un événement, désir sexuel inconscient, traumatisme passé, secret de famille enfoui, etc.) comme le laissent penser la psychanalyse, la psychogénéalogie ou même la psychologie populaire ?

JVR – Une des principales idées de la psychologie scientifique est que le comportement dépend toujours d’une pluralité de facteurs : l’équipement génétique, les expériences passées, les processus cognitifs et affectifs, l’état de l’organisme, la situation présente, le répertoire comportemental, l’anticipation des effets des comportements. On peut dès lors noter que nous disposons de plusieurs possibilités d’action pour changer des comportements : nous pouvons changer l’environnement, modifier des schémas cognitifs, mieux percevoir les conséquences de nos choix, agir sur notre organisme (notamment la respiration et le tonus musculaire), expérimenter de nouveaux types d’interaction sociale.

Propos recueillis par Géraldine Fabre.

Article publié en avril 2007 dans notre newsletter n°22.

Jacques Van Rillaer – Psychologie de la vie quotidienne