Une histoire qui ne manque pas de piquant
« Quelle heure reptile ?
– Je n’en saurien. »
Sttellla
Pense « global », critique « local », disait mon crémier qui était fort sage.
A quelques kilomètres de Grenoble, près de Pariset sur la route de Saint-Nizier, la vieille ruine d’une tour tente faiblement de dominer Seyssinet. Il faut avouer qu’elle est bien mal en point, cette tour : vieux pan de muraille balayé par l’aquilon frisquet, elle est entourée de quelques apathiques caillasses piquées d’herbes. A première vue, elle semble dénuée de tout intérêt. Mais trônant à quasiment 666 mètres d’altitude juste à côté de l’intrigante Grotte des Sarrasins, elle s’appelle la Tour-sans-Venin et ferait soi-disant fuir les reptiles. Il n’en fallait pas plus pour appâter le zététicien…
La tour-sans-Venin, qui surplombe Grenoble
Une tour sans atour ?
Si les premières traces écrites de la tour et de son présumé château remontent à plus de 800 ans, les premières descriptions formelles datent du 16ème siècle. Symphorien Champier(1), « docteur en la science esculapienne » (c’est-à-dire médecin), rédigea un bon nombre d’ouvrages et d’opuscules dont l’un chante la gloire de son célèbre et preulx cousin le chevalier Bayard ; au travers de cette oeuvre il en profita pour vanter la beauté du Dauphiné et dresser une liste des lieux uniques de la région. Parmi « quatre choses singulières, lesquelles n’estoient semblables en nul lieu du monde »(2), il insère, déjà, la Tour-sans-Venin.
Fuite des serpents, gravure du Père Ménestrier, 1701
Denis Salvaing de Boissieu, premier président de la chambre des comptes de Grenoble, la signala également parmi ce qu’il appela les « sept merveilles du Dauphiné », excusez du peu(3).
Encore mieux, en 1661, la plume de Nicolas Chorier la classe désormais en première position des sept merveilles, même s’il la dépeint déjà en déliquescence : « Elle était carrée autrefois, écrit-il, et il n’en reste plus qu’une muraille »(4). A croire qu’elle a toujours été ainsi.
Œuvre d’Alexandre Debelle, 1837
Une tour sans serpents ?
Quel est le mystère de cette « Tour-sans-Venin » ? Voici la première version, celle de Champier :
« […] la seconde singularité de notre pays en Dauphiné est la tour sans venin ; sur près dudict Grenoble, environ le milieu de la montagne, de la rivière de l’Isère et du Drapt. En lasquelle beste venimeuse ne peult vivre, car incontinent que l’on a bouté dedans, elle meurt… »(5) (C’est moi qui souligne, R.M.)
Et Chorier d’en remettre une couche :
« Une longue expérience a enseigné que les animaux venimeux n’y naissent, et que même ils n’osent l’aborder. On n’y voit ny serpent ny crapaux, ny lézards, jusques aux araignées qui y trouvent une mort certaine si on les y porte d’ailleurs »(6).
Mais remontons encore un peu le temps.
Muller, à qui j’emprunte une partie des superbes travaux, nous apprend qu’au 12ème siècle déjà, Gervais de Tilbury (orthographié parfois Tilisbery) écrivait que « si on prend de la terre du château de Pariset en quelque lieu que ce soit, et qu’on la mette en poudre, cette poudre fait aussitôt fuir la peste des animaux nuisibles »(7). Fantastique, n’est-ce-pas ? Mais de quel château parle-t’il ?
Une tour sans château ?
Le problème est épineux : pas de traces du château de Pariset dans les archives. Rien n’indique que la Tour-sans-Venin en soit réellement le vestige. Alfred Bougy fit en peine perdue des recherches sur la question, pour conclure en 1837 dans ce qui fut le premier journal illustré, l’Album du Dauphiné :
« Nous ne connaissons rien de positif sur les premiers temps de la Tour-sans-Venin, car il paraît que sa fondation remonte à une haute Antiquité, qu’elle est complètement effacée des livres et de la mémoire des hommes. La tradition populaire même, qui ordinairement raconte sur notre vieille France tant de chroniques et de légendes, où quelques faits historiques se trouvent délayés dans les rêveries superstitieuses de nos pères, la tradition qui ne nous dit pas un mot sur l’origine de la tour, est d’une grande stérilité dans les indices ultérieurs qu’à grand-peine elle nous transmet… ». Mais il ajoute : « Nous savons qu’il a existé une ancienne et noble famille qui portait le nom du pays et qui s’est éteinte à un certain Didier de Pariset. Nous ajouterons que, comme il n’y a eu dans cette paroisse aucune demeure seigneuriale, si ce n’est la tour dont nous nous occupons, il est naturel de penser qu’elle était la résidence de cette famille »(8).
Il semble que Bougy ait eu raison. La Haute Antiquité dont il nous par le serait a priori le 11ème siècle, époque à partir de laquelle le château de la Tour-Sans-Venin fut habité par les de Pariset, premiers seigneurs du lieu, dont ils avaient pris le nom et dont le vaste fief s’étendait de St-Nizier et Lans jusqu’à Fontaine et une partie de Grenoble, au-delà du Drac actuel.
Leur généalogie n’apparaît qu’à la fin du 12ème siècle, avec Guillaume de Pariset, à propos d’un arbitrage avec Aymar de Sassenage. Suivra Roux de Pariset en 1244, François de Pariset en 1264 et Didier de Pariset en 1292. Mais en 1318, le mandement de Pariset se trouve partagé en trois, et 77 ans plus tard, l’Evêque de Grenoble empiètera sur le territoire. Au16ème siècle commence la dislocation du domaine. Les importantes terres de Pariset passent à la famille des Lovat, jusqu’à la fin du 18ème : jusqu’à ce que Pierre Jean Bourcet de la Saigne, héritier par sa mère et descendant des Lovat soit contraint de vendre ses terres, lesquelles furent encore amputées du domaine de la Coste, vendu comme bien national le 18 novembre 1793 par De La Coste Pierre. Passons. Au final, l’immense domaine tout comme le château ne sont plus que souvenirs(9). Mais revenons à nos moutons : la tour est le vestige d’un château du XIème disparu. Tout le monde semble s’accorder sur cela… ou presque. Il y a bien M. Barginet qui avance dans son roman Cotte Rouge que la fondation du château serait l’œuvre de Roland, le fameux neveu de Charlemagne, venu faire le siège à Grenoble… Il est permis de douter : que ce soit en soufflant dans son cor ou pas, Roland est mort à Roncevaux le 15 août 778, soit plus de deux siècles avant. Soit le château est du 8ème siècle, ce qui n’est avancé par personne d’autre que lui, soit l’hypothèse « Roland » est fantaisiste.
Une tour sanctifiée ?
Tour-sans-venin. Il fut un temps avancé que le nom attribué à la tour proviendrait simplement de la déformation du nom d’un saint vénéré dans une chapelle voisine. Que ce soit saint-Vrai, saint-Séverin pour les uns, saint-Vérand ou saint-Vérin pour les autres, l’évolution du nom aurait pu vraisemblablement donner san Venin dans le patois local, surtout lorsque l’on sait que venin en patois se disait vérin. C’est pour cette raison qu’Alfred Bougy, encore lui, consigna : « La langue vulgaire, qui corrompt tout, fit des mots Saint Vérin ceux de Sans venin, et ce nom, devenu le seul usité, détrôna complètement celui qui lui avait servi de racine »(10). Mais le désaccord est là : l’hypothèse du saint fut rebroussée au 19ème siècle par Emmanuel Pilot de Thorey, archiviste du département de l’Isère, qui montra que la petite chapelle non loin de la tour était déjà vouée à la Vierge en 1244 et en aucun cas à l’un des saints précités…(11). Une autre solution, conciliant les deux avis, nous vient du romancier M. Berret. Dans son livre sans date (fin 19ème) « Au pays des brûleurs de loups » il nous narre les propos échangés entre Salvaing et le fameux Saint Verin lui-même, lequel l’agonit de reproches avant de lui glisser : « j’ai succédé là à Isis. C’était une bonne déesse : ses prêtres étaient pauvres, et leur sanctuaire n’était orné que de couleurs d’airain. Isis protégeait les jeunes filles et détestait les serpents. Et par là, elle annonçait la Vierge chrétienne et les fêtes virginales dont on l’honore »(12).
Isis ? Voyons voyons…
L’église Romane de Pariset et son joyeux cimetière.
Une tour sans nom ?
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, Isis n’est pas une élucubration fumeuse. Guy-Allard, historien, généalogiste du 17ème siècle, reprend ainsi l’intuition de Chorier : le nom de la tour proviendrait du culte à Isis, fort en vogue durant la région. Claude Muller écrit : « Selon [Guy-Allard], un temple consacré à la déesse égyptienne aurait été élevé non loin de la tour, ce sanctuaire ayant été assez célèbre pour donner son nom au pays ». Ainsi Pariset viendrait d’ « adorateur d’Isis ». « On aurait d’ailleurs retrouvé non loin de là un autel dédié à la déesse et deux serpents en bronze. Il est vrai qu’Isis était souvent représentée coiffée d’un serpent autour de la tête. On affirmait qu’elle pouvait commander les vipères et autres reptiles, et leur demandait de s’approcher ou de s’éloigner quand elle le désirait… »(13). Tiens tiens tiens.
Qu’en est-il ? Il est vrai que l’on a retrouvé alentour des médailles gallo-romaines, des fragments de poterie, des tuiles romaines dites sarrasines, des épées ainsi que des pièces de monnaie du Moyen Age. Il est possible aussi, comme l’avançait M. Chapuy-Montlaville(14) que le tertre eut été le lieu d’un temple druidique tel que les Allobroges les affectionnaient, c’est-à-dire proche d’une forêt touffue pour leurs rituels – en l’occurrence, le bois des Vouillands aurait fait largement l’affaire. Mais Isis ?
D’abord, il faut bien se rendre compte que le culte de la déesse Isis était assez courant dans l’Antiquité(15). En outre une pierre fut déterrée en 1656(16) près de la chapelle, portant l’inscription romaine « Isidi matri Sex Claudius Valerianus aram cum ornamentis ut uouerat D.D. » qui se traduirait ainsi : « A Isis mère, Sextius Claudius Valerianus a donné à titre d’offrande(cet) autel avec ses ornements, ainsi qu’il en avait fait le voeu. »(17). Troublant, même si la pierre a disparu depuis et que l’autel n’a jamais été trouvé.
Inscription originale, copiée, alignée et ponctuée par Chorier.
Alors Alfred Bougy emboîte le pas :
« […] On sait que l’égyptienne Isis était en grande vénération chez les pêcheurs et habitants des bords des rivières ; on a même avancé que l’Isère tire son nom de cette divinité. Pourquoi donc Pariset, village situé sur une montagne au pied de laquelle le Drac avait autrefois son lit, qui ne fut changé dans la suite que par les soins de Lesdiguières, pourquoi Pariset n’aurait-il pas pu avoir sur son rocher la patronne des fleuves, puisque ce rocher dominait en quelque sorte et tenait sous ses pieds le furieux courant d’eau, qui de tout temps a dévasté ces contrées ? ».
Pourquoi pas, effectivement. Pourtant l’étymologie nous donne une autre origine de « Isère ». P. Delacretaz nous explique qu’ « il s’agit d’une déformation de Liseraz, qui est l’un des plus anciens hydronymes connus, cela tant au Proche-Orient qu’en Afrique du Nord ou en Europe. ». Pour preuve, son nom d’origine pré-indo-européenne aurait de nombreuses variantes : Esera en Espagne, Esaro en Italie, Isac en Loire-Atlantique, Isar ou Isara en Allemagne, Isara, Isarci ou Isarco en Italie, Isard ou Lisart en Ariège, Isarno ou Isorno au Tessin, Jizera en République Tchéque, Leizaran au Pays Basque, Lizerne ou Lyserna en Valais. Isère était appelée d’ailleurs Isara par César(18).
Or, comme le souligne Denis Biette, du Laboratoire de Zététique de la Faculté des Sciences de Nice, consulté pour l’occasion : « si César appelait le cours d’eau Isara, cela prouve que le nom existait déjà à l’époque de la conquête, alors même que le culte d’Isis n’était pas encore répandu en Gaule. Il ne se manifestera qu’avec l’arrivée des Romains, et [qui plus est] dans un deuxième temps. »
Il faut donc être prudent : même s’il y eut des temples voués à Isis dans les environs, et même si Pariset et Isère semblent avoir la même racine linguistique, il est impossible de certifier l’origine rituelle égyptienne probable du temple, et encore plus de prétendre, comme on l’entendit parfois, que les ruines du rocher de Pariset elles-mêmes étaient les débris d’un ancien temple consacré à Isis (Pilot de Thorey, par exemple, susurrait que Pariset dérivait de Parisiis signifiant Par-Isis, adorateur d’Isis).
Quant à prétendre que le nom de Pariset vient d’un peu de terre apportée de Paris par l’inusable Roland, difficile de confirmer. La légende prétend que venu bouter le païen d’Orient hors de Grenoble, il aurait emporté pour talisman un doigt de Monseigneur Saint-Denis et de la terre de Paris. Ayant, selon la légende, jeté son dévolu sur les tours de Bouquéron (peut être) et de Pariset (peu probable car a priori pas encore construite), il déposa le doigt dans l’une, la terre autour de l’autre(19). Le droit au rêve ayant pour pendant le devoir de vigilance, dans le doute, ajoutons un doigt de scepticisme au doigt du Saint Martyr et brûlons un cierge à l’hypothèse de Bougy. Mais au fond, pourquoi tout ce foin ? la Tour fait-elle réellement fuir les reptiles ?
Une tour sans reptiles ?
Personne au 16ème siècle ne tente une quelconque explication de ce qui mettrait en déroute les reptiles. Par contre, ce sera l’occasion d’une splendide récupération démagogique : Champier affirmera par exemple que, sur une terre où il y a « pareille chose », ne peuvent exister « ny traitres, ny intoxicateurs, ny empoysonneurs, ny gens plains de vendications et faulcetés ». On voudrait bien le croire.
Pourrait-on dater le début de la légende du poème de Salvaing relatif à la tour ?
Dans le septem miracula delphinatus dont nous avons parlé, on lit « medea, sive turris expers veneni« , que la traduction française dirigée par François Blaire, de l’Observatoire Zététique donne pour : « Medée, experte soit en tour soit en poison »
La référence à Médée, réputée empoisonneuse, reste floue. Encore plus fort, dans le roman de M. Berret, on peut lire les propos tenus par Saint Severin à Salvaing de boissieu « Ce n’est pas à toi qu’il convenait de choisir ma tour pour y mettre Médée dans ses meubles, outre que tu sais fort bien que jamais elle n’installa si prés de moi la cuisine de ses poisons, c’est encore offenser la providence que de mettre sur le compte d’une païenne aussi peu réservée la bonté qu’à dieu d’éloigner de ma chapelle les animaux rampants en qui s’incarne le personne réprouvé« (20).
Je ne sais pas pour vous, mais moi je n’ai pas compris grand-chose. Même le reste du poème de Salvaing est nimbé de mystère. Avis aux historiens(21).
Par la suite, les spéculations vont bon train. D’aucuns disent que la fuite des reptiles serait provoquée par la tour elle-même. D’autres arguent de la croisade, lors de laquelle l’un des seigneurs de Pariset aurait rapporté puis épandu de la terre d’Orient, qui aurait l’étrange propriété de mettre en déroute les bestioles. Dans les deux cas, le scepticisme est de rigueur : si le phénomène vient de la tour, comment un amas de pierres pourrait à lui seul faire fuir des serpents ? Si le phénomène vient de la terre d’Orient, outre le fait que l’Orient est vaste, il ne devrait donc pas y avoir de serpents en Orient, ou tout au moins dans une région d’Orient. Pratiquement, les seules régions du Proche-Orient où il n’y ait pas de serpents sont les mers (et encore). Là où il y a la mer, il n’y a pas de terre. Là où il n’y a pas de terre, il n’y pas de croisade. Là où il n’y pas de croisade, il n’y a pas le fameux seigneur de Pariset …ramassant de la terre. Dont acte.
J’avoue, j’exagère un peu.
Une tour sans blable ?
Quelques chercheurs proposèrent alors l’explication suivante, qui me semble, sinon la plus vraie, du moins la plus intéressante : la prétendue fuite des serpents serait due à la présence de la vipérine, Echium vulgare ou échion, qui se trouvait en abondance sur le tertre de Pariset. Selon le Docteur en pharmacie Madeleine Rivière-Sestier, « cette labiée hérissée de poils piquants, possède une hampe florale gris tacheté de bleu violacé, qui se plie et se replie, à l’image des couleuvres. »(22) Effectivement, les corolles ressemblent à des mâchoires ouvertes de serpents, les étamines qui dépassent rappellent la langue d’un serpent et l’inflorescence s’enroule un peu comme un reptile. « Les anciens auteurs, en lui attribuant la propriété de chasser ou de tuer les reptiles, apporteraient ainsi un témoignage supplémentaire à la théorie de la signature, si en honneur dans les vieilles pharmacopées. »
Attardons nous un instant sur cette théorie.
La doctrine des Signatures dont parle Rivière-Sestier fut l’œuvre du médecin suisse Philippus Aureolus Theophrastus Bombast von Hohenheim, que nous nommerons Paracelse pour faire plus court. Selon ce personnage haut en couleur et iconoclaste qui défraya la première moitié du 16ème siècle, « le semblable produit le semblable« , et par conséquent l’usage d’une substance peut être déduite de l’observation de sa présence dans la nature, ses caractéristiques physiques augurent de ses propriétés.
Paracelsus
Ainsi la chélidoine (Chelidonium majus) ou grande éclaire, de la famille des Papavéracées, possède un latex jaune vif qui s’écoule quand on casse la tige. Paracelse décida donc de la prescrire pour la jaunisse et les troubles hépatiques.
L’immortelle jaune (helichrysum arenarium), étant d’un jaune urinaire, elle fut considérée comme diurétique.
La garance, rouge, présumait de soi-disantes propriétés emménagogues, etc.
Mais la forme de la plante se prêtait également à l’interprétation de la doctrine. Ainsi en fut-il pour le millepertuis, Hypericum perforatum. Par transparence, ses feuilles semblent percées de petits trous dus à la présence de poches sécrétrices dites schizogènes qui sont des glandes formées d’un amas de grosses cellules translucides dépourvues de chlorophylle. Piquée de trous, on considéra qu’elle devait certainement soigner les blessures.
On faisait également de l’ophioglosse(23), qui ressemble à une queue de serpent un onguent d’un beau vert employé contre la morsure des reptiles.
Langue de serpent, Chélidoine, Immortelle et Millepertuis.
Ainsi, à part quelques cas où les associations, hasardeuses, recouvraient de véritables propriétés (les cas majeurs étant l’écorce de saule, source de la vulgaire aspirine, le ginseng et la solanacée mandragore offrant un cocktail d’alcaloïdes), on peut dire que cette pharmacologie était aussi intuitive et amusante que globalement fausse(24). On classe désormais le raisonnement qui en est le fondement comme un exemple de « pensée magique », puisqu’il augure d’une causalité entre de simples similitudes de formes. A la suite de Frazer, on la classe dans la catégorie de la magie homéopathique, -de homéo, semblable et de pathos, souffrance. Il était donc évident que la vipérine ne tarderait pas à cause de sa forme à être associée au soin des morsures ou à la déroute des serpents. Son nom latin vient lui-même de echis, vipère.
C’est donc sans trop de surprise qu’on apprendra qu’aucune propriété connue de la vipérine ne permet de faire fuir les vipères.
Vipérine et vipérine faux-plantain.
Une tour sans mystère ?
Peut-être devrions-nous nous ranger de l’avis de Bougy et de ses mots cassants :
« Nous n’entreprendrons pas de démentir cette fable grossière qui affirmait que la tour était mortelle aux reptiles et aux animaux venimeux ; les recherches et surtout les lumières toujours croissantes de la raison en ont assez montré le ridicule, nous dirons seulement que ces lieux, où soufflent continuellement les froides brises de la montagne, conviennent peu aux serpents, amis de la chaleur ».
Au fond, savoir s’il y a ou non phénomène n’est pas très important. Cette tour fatiguée nous offre du même coup une splendide illustration du principe de similitude, une superbe vue sur le Mont Blanc quand la vue est dégagée et une énorme antenne télévision à faire blêmir un saurien. On ne lui en demandait pas tant.
Quant à la vipérine, ses jeunes feuilles peuvent se manger en salade, et séchées, elles calment la toux. Ce n’est pas si mal.
Auteur : Richard Monvoisin, Grenoble, le 21 novembre 2004
PS : Ah j’oubliais : le mois dernier, en y passant, j’ai aperçu un lézard. Bon, il était tout petit.
Toute remarque ou complément peuvent être directement envoyés à l’auteur ou sur le forum zeteticiens@yahoogroupes.fr.
Notes
(1) Selon Claude Muller, Symphorien Champier est né à Saint-Symphorien-le-Château, dans le Rhône et aurait épousé Marguerite du Terrail, cousine de Bayard. In C. Muller, Les Mystères du Dauphiné, Histoires insolites, étranges, criminelles et extraordinaires, De Borée Editions, 2003, p 22.
(2) Champier Symphorien, La vie de Bayard, Les gestes ensemble la vie du preulx Chevalier Bayard, Lyon 1525. Réed. Préface Crouzet, coll: Acteurs de l’histoire,. 1992.
(3) De Boissieu Denis Salvaing, Septem Miracula Delphinatus, 1656.
(4) Chorier Nicolas, Histoire du Dauphiné, Valence, Chenevrier, 1661-1672
(5) Champier S.,. in Muller, op.cit. p 23.
(6) Chorier Nicolas, ibid. in Muller, op.cit. p 23.
(7) Tilbury Gervais de, in Muller, ibid., mais aussi (en les mêmes termes !) dans Batfroi Séverin, Histoire secrète des Alpes, Albin Michel 1981, pp 46-48.
(8) Bougy Alfred in Cassien V. et Debelle A. Album du Dauphiné, Grenoble, Prudhomme, 1837, p 57 téléchargeable sur http://gallica.bnf.fr/Catalogue/noticesInd/FRBNF30306575.htm
(9) Pour clore l’histoire de la propriété, en 1862, la ville de Grenoble, limitée par le Drac, s’annexe une bande de terrain appartenant à l’ancien mandement de Pariset : la Gare de chemin de fer et le petit séminaire du Rondeau en faisaient partie. (http://www.mairie-seyssinet-pariset.fr/IMG/pdf/origine_et_mandement.pdf). Pour plus de détails, se référer utilement à A. de Vernisÿ, Seyssinet-Pariset et ses environs, Res Universis, 1992.
(10) Bougy, in Cassien & Debelle, op.cit p 59.
(11) Pilot de Thorey Emmanuel, Les prieurés de l’ancien diocèse de Grenoble compris dans les limites du Dauphiné, in Bulletin de la Société des Statistiques de l’Isère, 12, 1884
(12) Berret, Au pays des brûleurs de loups, p 232
(13) Guy-Allard, dictionnaire historique, chronologique, géographique du Dauphiné, 1684
(14) in Cassien, op.cit. p 57.
(15) Cf. Vidman. L. & Turcan R., les cultes orientaux dans le monde romain, Paris, 1992, p 100-104.
(16) Relaté dans Chorier N., op.cit., I., p 239 et dans De Boissieu Denis Salvaing, op.cit. p 33.
(17) In Rémy Bernard, en collaboration avec J.-P. Jospin, Grenoble à l’époque gallo-romaine d’après les inscriptions, Coll. La pierre et l’écrit, PUG, 2003, p 94.
(18) Voir le site http://home.worldcom.ch/pdelacre/toponymes_7.html. Encore un léger détour, en passant : tous ces hydronymes seraient dérivés d’une racine plus ancienne encore : AR ou ARA qui a donné aussi un grand nombre de noms de rivières en Europe. L’Aar, l’Arve, l’Arnon, l’Arar (ancien nom de la Saône), l’Arno de Florence, l’Arnon en Jordanie (actuel Wadi Mujib)… Même l’Hérault appelé autrefois Arauris ou l’Orvanne mot issu d’Arvanna ont cette même racine.
(19) Rivière-Sestier Madelaine, Au fil de l’Alpe, Didier et Richard, 1970, p 142. Elle a également publié en 2000 Remèdes populaires en Dauphiné au PUF.
(20) Berret, op.cit., p 231.
(21) Voici la traduction transmise par F. Blaire :
Qua dracus effreno por inania jugora cursu (Dans un lieu par lequel le Drac par sa course effrénée a travers les espaces stériles)
Exsultat segetum spolés, isaroeque frementes (Fou de joie de piller des récoltes rejoignant l’Isère en bouillonnant)
In latus urget aquas, locus est ubi turris ad auras (Il arrive en urgence dans un espace vaste)
Surgit, et audaci vicina cacumine tentat (Jaillit vers ce lieu dans ces eaux sort en précipitation hors des terres vers les sommets)
Sidera, que nulli subeunt impune dracones Nullaque suspensis discurrit aranca telis….. (A la façon dont surgit les sommet des étoiles en une victoire proche d’eux en dessous duquel ne vont aucuns dragons… la fin est incompréhensible.)
(22) Rivière-Sestier M., ibid., pp 143-144.
(23) Du grec ophios, serpent et du latin glossus, langue
(24) Sur les bases de la pensée magique, lire Frazer J., Le Rameau d’or, éd. Laffont, 1981 et Mauss M. & Hubert H., Esquisse d’une théorie générale de la magie, in Sociologie et anthropologie, PUF 1950. On se référencera utilement à la page « magie et médecine » de F. Grandemange, http://charlatans.free.fr/magieetmedecine.html
Bibliographie
– Batfroi Séverin, Histoire secrète des Alpes, Albin Michel 1981.
– Barginet M. Cotte Rouge
– Berret, Au pays des brûleurs de loups, 1890 ? Musée Dauphinois.
– Boissieu Denis Salvaing de, Septem Miracula Delphinatus, Grenoble, 1656.
– Champier Symphorien, La vie de Bayard, Les gestes ensemble la vie du preulx Chevalier Bayard, Lyon 1525. Réed. Préface Crouzet, coll: Acteurs de l’histoire,. 1992.
– Chorier Nicolas, Histoire du Dauphiné, Valence, Chenevrier, 1661.
– Debelle Alexandre & Cassien Victor, Album du Dauphiné 1835-1837, Grenoble, Prudhomme, http://gallica.bnf.fr/Catalogue/noticesInd/FRBNF30306575.htm
– Frazer J., Le Rameau d’or, éd. Laffont, 1981.
– Guy-Allard, dictionnaire historique, chronologique, géographique du Dauphiné, 1684.
– Tilbury, Gervais de
– Mauss M. & Hubert H., Esquisse d’une théorie générale de la magie, in Sociologie et anthropologie, PUF 1950
– Muller Claude, les mystères du Dauphiné, De Borée éditions, 2003.
– Rémy Bernard, en collaboration avec J.-P. Jospin, Grenoble à l’époque gallo-romaine d’après les inscriptions, Coll. La pierre et l’écrit, PUG, 2003.
– Rivière-Sestier Madeleine, Au fil de l’Alpe, Didier et Richard, 1970.
– Rivière-Sestier Madeline & Fayard Armand, Remèdes populaires en Dauphiné, PUF, 2000
– Vernisÿ, A. de, Seyssinet-Pariset et ses environs, Res Universis, 1992
– Vidman. L. & Turcan R., les cultes orientaux dans le monde romain, Paris, 1992, p 100-104.
Crédit Photos
Passer la souris sur les photos, sauf pour…
– Photo crépuscule : Bruno Bourgeois, http://www.photos-dauphine.com
– Chélidoine : http://isaisons.free.fr/ch%E9lidoine.htm
– Immortelle, helichrysum arenarium : http://www.vertdeterre.com/nature/img/herb/helichrysum_arenarium.jpg
– Hypericum perforatum : http://www.sanat.ch/pflanzenbilder/gallery0006.html
– Ophioglossum pusillum, photo Matthew Wild, http://www3.sympatico.ca/arold/spp/ophpu.html
– Vipérine (echium Vulgare) : http://perso.wanadoo.fr/erick.dronnet/echium_vulgare1.htm
– Vipérine (echium Vulgare), détail : http://www.ct-botanical-society.org/galleries/echiumvulg.html
– Vipérine faux-plantain (echium plantagineum) : http://www.vertdeterre.com/nature/vegetal/hefiche.php?nom=vipérine%20faux%20plantain