Écrit par Richard MONVOISIN
19 Décembre 2004
Enquête zététique sur le Père Noël
Hier, une amie m’a demandé si j’avais écrit ma lettre au Père Noël. J’étais très très embêté.
A l’origine, le Père Noël n’est autre que Nicolas de Myre, évêque de son état. Contrairement à l’imagerie populaire, il était assez maigre, si bien que le grand monde, déjà très sensible aux modes, ne parlait que de se mettre dans la ligne de Myre. Certains l’appelaient aussi Nicolas de Bari, et de temps en temps Nico mais dans l’intimité seulement. Originaire de Patara, dans l’actuelle Turquie, il serait né en 270.
On l’a nommé au Moyen âge patron des petits n’enfants et des écoliers, tant il était gentil. Il sauva également des marins en perdition et fit un miracle encore plus difficile que Jésus : il multiplia non les pains, mais la farine.
Est-ce ceci qui l’a usé ? Lui qui fut un ancien enfant, comme moi, mourut un 6 décembre certainement des persécutions raffinées de l’époque : cela donna un prétexte à la populace qui ne pense qu’à ça pour faire la fête, fête appelée dès lors la Saint Nicolas, ou Sinter Klass – évidemment, on aurait pu dire Saint Nico mais un peu de contenance ne fait pas de mal. C’est depuis cette époque que, rendant hommage au bon sens de Saint Nico patron des écoliers, on parle des fameux « conseils de Klass ».
A sa mort, il est dit que de sa tête jaillit une fontaine d’huile – ce qui est assez vexant – et de ses pieds une source d’eau ; certains avancent que de tous ses membres, il sortait une huile sainte qui guérissait nombre de gens. D’ailleurs, bien plus tard, lorsque les turcs détruisirent la ville de Myre, 47 soldats italiens de Bari accompagnés de quatre moines leur ayant montré le tombeau de Saint Nicolas, l’ouvrirent et trouvèrent ses os qui nageaient dans l’huile. Alors ils les emballèrent et les emportèrent chez eux (d’où l’autre nom de Nicolas de Bari).
Désormais les 6 décembre la fête fuse, on tirelipinponne sur le chihuahua et les cotillons jaillissent, surtout en Lorraine car, quelques années après l’arrivée des reliques du Saint en Italie, un chevalier lorrain qui revenait de croisade passa à Bari, s’approcha de la relique et déroba… un doigt pour l’amener dans sa ville natale, Saint-Nicolas-de-Port. Bientôt des pèlerinages importants furent organisés dans cette petite ville, car lorsqu’on priait Saint Nicolas, des miracles étaient rapportés. Des chevaliers enchaînés par les infidèles furent (soi-disant) miraculeusement transportés devant le portail de l’église de Saint-Nicolas-de-Port et Saint Louis lui-même fut sauvé de la noyade.
Depuis le XIIe siècle, on raconte que Saint Nicolas, déguisé, va de maison en maison dans la nuit du 5 au 6 décembre pour demander aux enfants s’ils ont été obéissants. Le soir venu, les enfants laissent leurs souliers devant la cheminée ou devant la porte avec du sucre, du lait et une carotte pour la mule qui porte Saint Nicolas. Les enfants sages reçoivent alors des cadeaux, des friandises et les méchants reçoivent quelques coups de trique bien ajustés par le compagnon de Saint Nicolas, le Père Fouettard. La mule, elle, mange la carotte.
Mais c’est au 17ème siècle où les choses se gâtent : désormais célèbre jusqu’en Europe du Nord, la cotillonnade du Saint-Nicolas s’exporte vers les Etats-Unis et nous transforme radicalement notre évèque ! D’abord, on l’appelle dorénavant Santa Claus; et puis la mitre se change en sucre d’orge en 1821; puis Clément Clarke Moore, pasteur américain, rajoute les rennes, venus du froid, et malheureusement pas de Nîmes bien que la renne de Nîmes soit célèbre dans le monde entier. Par contre, je ne sais pas qui a ajouté ces gentilles fossettes, ni cet embonpoint qui, lui aussi, est rentré dans les mœurs écolières. En effet, n’avez-vous jamais surpris la maîtresse susurrer à un enfant rosi d’aise : « c’est bien, t’auras un embonpoint » ? Bref, Santa Claus, outre peau grasse, a fait peau neuve. Mais ce n’est pas fini : gardez-le pour vous, mais le premier costume rouge avec fourrure blanche, ainsi que la grande ceinture de cuir datent de 1860, d’une illustration de Thomas Nast, illustrateur et caricaturiste au journal new-yorkais Harper’s Illustrated Weekly. Ce même Nast décida par la suite, en 1885 que l’antre du Papa Noël était au Pôle Nord, au moyen d’un dessin illustrant deux enfants regardant, sur une carte du monde, le tracé de son parcours depuis le pôle Nord jusqu’aux États-Unis. L’année suivante, l’écrivain américain George P. Webster reprenait cette idée et précisait que sa manufacture de jouets et sa demeure, pendant les longs mois d’été, est en fait cachée… dans la glace et la neige du pôle Nord. Enfin c’est Coca Cola qui, en 1931, sous le pinceau de Haddon Sundblom, généralisa le Rouge et Blanc, l’air rougeaud et mielleux, et troqua la robe contre le pantalon. Détournement commercial d’un mythe folklorique
Ainsi, le Père Noël bouffi n’est qu’un mixte entre un évêque et une campagne de Publicité, et Noël un hybride entre la (encore hypothétique) naissance du Christ et la mort d’un évêque turc.
Si avec cela, vous parvenez à m’expliquer pourquoi on fait bombance à Noël d’une dinde qui en plus ne nous a rien fait, je vous tire mon chapeau. Mais passons à des considérations d’ordre physico-chimique, si vous le voulez bien.
Des chercheurs très talentueux ont essayé d’évaluer, sur un curseur « vraisemblance », la validité des hypothèses tendant à montrer « l’existence du Père Noël ». Leurs résultats étaient somme toute édifiants, mais entachés de plusieurs erreurs de calcul. Reprenons :
Aucune espèce connue de renne ne peut voler.
« Bien que soient estimés à 300.000 espèces les organismes qui doivent encore être découverts et classifiés (dont la majorité est constituée d’insectes et de germes divers), cela ne justifie en rien l’existence des rennes volants que seul le Père Noël utilise ».
Et bien que la dernière ait épongé ses dettes de tiercé avec l’argent de l’Etat, si l’on en croit la presse anglaise, même les rennes d’Angleterre ne volent pas…
Bon, admettons que le père Noël, balèze, ait trouvé des rennes volants.
Il y a environ 2 milliards d’enfants dans le monde.
Puisque le Père Noël ne semble pas desservir les populations musulmanes, hindoues, juives et bouddhistes, ni les témoins de Jéhovah, ni les gitans, cela réduit de 55 % le nombre d’enfants à desservir. Or, contrairement à ce qu’avancent les chercheurs, 55% de 2 milliards ne fait pas 375 millions mais 1,1 milliards. Mais après tout, peut être avaient-ils seulement gardé les enfants sages, ce qui n’est pas monnaie courante. Restons donc sur 375 millions d’enfants.
D’après les données des derniers recensements effectués, il y a une moyenne d’à peu près 3,5 enfants par foyer : on évalue ainsi à environ 107 millions de maisons à visiter (et non 91,5) en supposant qu’il y ait au minimum un bon enfant dans chacune d’elles.
Le Père Noël dispose de 31 heures d’obscurité, le jour de Noël, pour effectuer son travail (en tenant compte des différentes zones horaires, de la rotation terrestre, et en supposant qu’il voyage d’Est en Ouest pour avoir plus de nuit). Cela signifie 958,8 visites de domiciles par seconde.
De façon pratique, cela signifie que pour chaque résidence ayant au moins un bon enfant, le Père Noël a à peine plus d’un millième de seconde pour stationner, sauter hors du traîneau, donner du foin aux rennes, se laisser tomber dans la cheminée, retrouver à l’odeur à qui est tel ou tel chausson, remplir les chaussons en conséquence, distribuer le reste des cadeaux sous l’arbre de Noël, manger le casse-croûte qui a été laissé à son intention, remonter la cheminée, grimper dans le traîneau et se mettre en route vers la prochaine résidence.
En supposant que chacun de ces 107 millions d’arrêts soient aléatoirement distribués autour de la surface terrestre, (ce qui bien sur est faux mais reste acceptable dans le cadre de cette démonstration) et prenant en compte le fait que 2/3 de la surface de la planète sont immergés et que les populations humaines sont fortement concentrées aux mêmes endroits, nous obtenons donc une distance moyenne inter-foyer approximative de 3 kilomètres : et donc un périple total d’une distance de 321 millions de kilomètres, sans compter les arrêts fourrage pour les rennes et les pauses pipi.
Cela signifie que le traîneau du Père Noël se déplace à 2876 kilomètres par seconde, 10 000 fois la vitesse du son.
A titre de comparaison, le plus rapide artefact d’origine humaine, la sonde spatiale Ulysse, se déplace à une vitesse douloureuse de 43,8 kilomètres par seconde.
Un renne conventionnel, lui, se déplace à une vitesse maximale de 24 kilomètres à l’heure, et encore, avec des anabolisants.
La charge portée par le traîneau est un paramètre non négligeable.
En supposant que chaque enfant ne reçoive rien de plus qu’un jeu Lego de grandeur moyenne (un kilogramme), le traîneau transporte alors (non 321.300 tonnes, comme le disent les savants) mais 375 000 tonnes (puisqu’il y a 375 millions de boîtes d’1 kilogramme), sans compter le Père Noël, qui est invariablement décrit comme souffrant d’embonpoint.
Or, sur le plancher des vaches, les rennes conventionnels ne peuvent tirer plus de 150 kilos de marchandises.
Alors même si l’on accordait aux rennes volants une capacité de traction 10 fois plus grande que la normale, il serait impossible de faire le travail avec huit ou neuf rennes : il faudrait 250.000 de ces rennes spéciaux (qui pèsent autour de 200 kilos chacun).
Tous ces rennes augmentent le poids total à un sommet de 375 000 + 250 000*0,2 soit 425 000 tonnes, soit près de 10 fois le poids du Titanic (46328 tonnes) – et nous ne tenons pas compte du poids du traîneau lui-même.
425.000 tonnes voyageant à 2 876 kilomètres par seconde créent une résistance énorme à l’air, chauffant les rennes de la même manière que la navette rentrant dans l’atmosphère terrestre. Si l’on considère les frottements dans l’air proportionnels au carré de la vitesse, alors les rennes de tête absorberont quelque chose de l’ordre de quelques milliards de milliards de joules d’énergie.
Par seconde.
Par renne.
En résumé, ils exploseront en flammes presque instantanément, exposant les rennes adjacents à des dommages collatéraux sévères et créant des boums soniques assourdissants lors de leur passage au-dessus des agglomérations endormies et sereines. Au fur et à mesure de sa mission, le Père Noël laissera derrière lui un sillage de bang soniques assourdissants et une cohorte ininterrompue de rennes carbonisés. L’attelage entier de rennes sera vaporisé en moins de 4,26 millièmes de seconde.
Pendant ce temps, le Père Noël sera sujet à des accélérations 300 000 fois plus fortes que la force gravitationnelle. Si l’on en croit les chercheurs, un Père Noël de 125 kilos (ce qui semble très optimiste) serait écrasé au fond de son traîneau par quelques millions de newtons, de qui devrait définitivement guérir son cholestérol, lui broyer les os, pulvériser sa chair, le transformant en gelée rose et lui enlevant toute velléité de recommencer.
En d’autres termes, si le Père Noël essaie de distribuer des cadeaux le soir de Noël à tous les petits garçons et à toutes les petites filles qui le méritent sur la surface de la Terre, il finira en purée carbonisée.
Conclusion :
Il semble probable que le père Noël, s’il a existé, soit mort carbonisé et/ou aplati depuis longtemps. L’apparition miraculeuse du Père Noël, rapportée de nombreuses fois, reste donc pour les plus grands scientifiques une donnée inexplicable. Mais comme, lorsqu’il passe, tout le monde dort à poings fermés, nous pensons que la croyance dans le père Noël est un choix métaphysique qui relève de chaque enfant, et de lui seul. Un enfant sceptique comprendra vite qu’au fond, y croire ou pas, ça ne change pas grand chose : Noël est une énorme entreprise commerciale.
Richard Monvoisin