Aux confins de l’esprit

Russell Targ et Harold Puthoff

Éditions Albin Michel

 

« Aux confins de l’esprit : une étude expérimentale sur les phénomènes paranormaux », de Russell Targ et Harold Puthoff, est paru en français en 1978 aux Éditions Albin Michel. Son titre original est Mind-Reach : Scientists look at psychic ability, paru en 1977 aux États-Unis.

Les auteurs sont à l’époque chercheurs en physique au Stanford Research Institute (SRI), en Californie. Ils sont à l’origine du projet Scanate, qui par la suite est devenu Stargate, en partenariat avec la CIA et la DIA (Defense Intelligence Agency), dont l’objet principal était l’étude de la vision à distance (Remote Viewing).

Les expériences relatées dans ce livre ont fait l’objet d’un article de Nature [1], qui est toujours considéré comme une référence par certains parapsychologues [2].

 


Phénomènes parapsychologiques relatés


 

Targ et Puthoff relatent deux types de phénomènes parapsychologiques : ceux pour l’étude desquels ils ont pu mettre en place un protocole expérimental, qui sont évidemment ceux que nous privilégierons, et ceux qu’ils ont observés, souvent réalisés spontanément par les sujets, sans les avoir investigués. La classification adoptée est suggérée par l’article de Nature.

Phénomènes parapsychologiques ayant fait l’objet d’expériences contrôlées

 

Phénomène Sujet(s) Chapitre Résultats
Vision à distance Ingo Swann 2 « excellents » (p. 75)
Pat Price 3 « de qualité supérieure » (p. 95)
Hella Hammid 4 « bonne corrélation » (p. 120)
Duane Elgin 4 « fort satisfaisant[s] » (p. 125)
Autres (débutants) 4 idem
Uri Geller 7 significatifs
Prémonition Hella Hammid 5 « une cohérence et une précision exceptionnelles »
Six sujets, dont Duane Elgin  6 négatifs pour tous sauf Elgin
Uri Geller 7
Vision à travers des parois opaques  Uri Geller 7 significatifs
Uri Geller 7 positifs
4 Corrélation entre états cérébraux Hella Hammid 6 « un succès » (p. 174)

 

1. Vision à distance

C’est le principal phénomène évoqué dans le livre, et celui pour lequel le plus d’expériences ont été réalisées. Il fait l’objet d’une partie de l’article de Nature.

Je me contenterai ici de décrire un protocole-type, puisque toutes les expériences n’ont pas été menées exactement dans les mêmes conditions.

Le principe consiste à demander à un sujet de décrire, oralement et souvent également graphiquement, le lieu, autrement appelé cible, où se trouvent des expérimentateurs.

Pour cela, une liste de cibles est établie [3], toutes situées dans une zone permettant de les atteindre en moins d’une demi-heure de voiture. Pour chaque série d’expériences avec un même sujet, les cibles sont tirées au sort sans remise parmi cette liste. Seuls ceux qui vont se rendre sur les lieux-cibles les connaissent. Pendant que le sujet reste au SRI avec un expérimentateur, l’autre équipe dipose de trente minutes pour se diriger vers la cible. Après ces trente minutes, elle reste sur le lieu-cible pendant quinze minutes. C’est pendant ces quinze minutes que le sujet fait sa description. Ses paroles sont enregistrées par un magnétophone. L’expérimentateur resté avec le sujet lui pose quelquefois des questions pour l’encourager (par exemple « Que voyez-vous en ce qui concerne les limites de l’endroit où ils sont ? », p. 105). Juste après chaque expérience, le sujet est emmené au lieu-cible pour un feedback. Les paroles du sujet sont dactylographiées et jointes aux dessins réalisés pendant l’expérience. On procède ainsi à plusieurs expériences par sujet ; cela constitue des séries.

Le sujet et les expérimentateurs ont souvent une grande impression de succès. L’évaluation proprement dite ne se réduit pourtant pas à cela : elle fait appel à un juge [4]. On remet à cette personne la liste des n cibles de la série et les pochettes contenant les descriptions des cibles par le sujet. Le juge se rend sur chaque cible. Il ordonne alors toutes les descriptions selon leur correspondance à la cible, de la meilleure description pour la cible en question, qui reçoit la note 1, à la moins bonne, qui se voit attribuer la note n. Le « score » final est la somme de ces notes pour toutes les cibles de la série. On calcule alors la probabilité p que ce « score » soit obtenu par hasard [5], et si cette probabilité est inférieure à 5 %, l’expérience est considérée comme un succès, puisque cela signifie que par hasard le juge n’aurait eu que moins de 5 % de chances d’arriver à ce score.

Les résultats sont impressionnants :

 

Sujet(s) Probabilitép Nombre d’expériences de la série
Pat Price p = 2,9.10-5 9
Hella Hammid p = 1,8.10-6 9
Elgin et Swann p = 3,8.10-4 4 chacun
Pease et Cole (débutants) p = 0,08 4 chacun
V1 et V2 (débutants) [6] p = 0,017 3 pour V1, 2 pour V2

 

Deux transcriptions figurent dans le livre, ainsi que de nombreux dessins réalisés par les sujets avec des photos des cibles correspondantes. Les descriptions sont convaincantes. Comme le disent Targ et Puthoff page 141, « le résultat global indique clairement la présence d’un canal d’information efficace ».

 

2. Prémonition

Dans le cas d’Hella Hammid, l’expérience est dérivée de celle concernant la vision à distance. Le protocole est le même à ceci près que Hammid fait sa description de la cible pendant un quart d’heure qui se termine cinq minutes avant que cette cible ait été tirée au sort. Ainsi, les expérimentateurs arrivent sur le lieu-cible trente-cinq minutes après la fin de la description qu’en a faite Hammid. La série effectuée ainsi comporte quatre expériences, et les trois juges ont effectué des appariements sans erreurs.

L’expérience de prémonition suivante est très différente : un générateur aléatoire de cible parcourt quatre positions 250 000 fois par seconde. À chaque position correspond un tableau. Lorsque le sujet appuie sur un bouton, le tableau désigné à ce moment-là par le générateur s’affiche sur un écran. Le sujet doit prédire quel tableau apparaîtra. S’il n’a pas de réponse à proposer, il peut passer, et cet essai n’est alors pas comptabilisé. Pour encourager le sujet, le feedback est instantané, et un commentaire, toujours positif, parmi cinq possibles lui est fourni en cas de succès. Chacun des six sujets s’est prêté à cent séries de vingt-cinq essais. Les résultats sont automatiquement imprimés sur une feuille de papier continue. Seul Elgin a obtenu des résultats satisfaisants : « C’était si bon que la probabilité d’obtenir ces résultats grâce au seul hasard aurait été de moins d’une chance sur trois millions. » (p. 168). Dans une expérience suivante, on ajouta un deuxième système d’enregistrement des résultats, par cartes perforées transmises à un ordinateur. Les résultats furent « médiocre[s] », à cause de « la tension considérable à laquelle il [Elgin] avait été soumis » (p. 170). Lorsque l’enregistrement fut fait à la main par un observateur, à l’exclusion de tout autre système d’enregistrement, les résultats redevinrent significatifs.

3. Vision à travers des parois opaques

Cette fois, le sujet est le bien connu Uri Geller [7]. Deux expériences sont relatives à cette catégorie.

La première expérience (bien que ce soit la deuxième exposée dans le livre) est simple. Un dé est placé dans une boîte métallique. On agite cette dernière et Geller doit écrire sur un papier la face du dé qui se trouve au-dessus. Geller dispose du droit de « passer », c’est-à-dire de ne pas donner de réponse, pour une expérience qui ne sera alors pas comptabilisée. Dix essais sont faits. Geller passe deux fois et donne la bonne réponse les huit autres. « La probabilité pour qu’un tel résultat se produise par hasard est d’un sur un million » (p. 200), d’après les auteurs. Elle lui est même inférieure, puisqu’elle vaut 5,9.10-7.

La deuxième expérience est plus complexe. Geller doit reproduire un dessin fait dans une autre pièce, isolée de celle où il se trouve par des moyens qui varient selon les expériences.

Ce dessin représente un mot tiré aléatoirement dans le dictionnaire. Dans la plupart des cas, Geller se trouve seul dans une salle dont les parois sont métalliques. Les dessins-cibles sont réalisés par une peintre professionnelle, et suspendus à un mur d’une pièce voisine. Les expérimentateurs communiquent avec Geller grâce à un interphone qui leur permet de l’entendre en permanence, et d’en être entendus seulement quand eux-mêmes appuyent sur un bouton. Là aussi, Geller dispose du droit de passer. Treize expériences furent réalisées et Geller passa trois fois.

 

Là aussi il fut fait appel à des juges pour l’évaluation, qui ont bien apparié chaque dessin ou groupe de dessins avec le dessin-cible. « Il n’y avait pas une chance sur un million qu’un tel événement se produisît par le seul hasard » (p. 194). En effet, la probabilité d’un tel événement est 2,8.10-7. Certains des dessins de Geller sont quasiment identiques aux dessins-cibles correspondant. Là aussi, les résultats sont impressionnants.

4. Corrélation entre états cérébraux

Le titre donné à cette expérience dans « Aux confins de l’esprit » est « Vision à distance d’une lumière clignotante ». Je n’ai pas repris ce titre, mais le terme par lequel on désigne ce type d’expériences dans la littérature actuelle [8].

Petit préliminaire : lorsqu’on fait voir à un sujet une série de flashes lumineux à basse fréquence (moins de 20 Hz), on peut observer une modification de son électroencéphalogramme (EEG). L’EEG au repos contient surtout des ondes alpha, dont la fréquence est comprise entre 8 et 12 Hz. Pendant la stimulation lumineuse, l’amplitude des ondes alpha diminue, et des ondes de même fréquence que les flashes apparaissent.

L’expérience menée par Targ et Puthoff est donc la suivante : une personne jouant le rôle de transmetteur est confrontée aux flashes, tandis qu’on enregistre l’EEG du sujet, Hella Hammid, qui se trouve dans une pièce distante de sept mètres, blindée par des parois métalliques et isolée acoustiquement [9]. Les éclairs lumineux sont répartis comme suit : on alterne dans un ordre aléatoire des périodes sans éclair, des périodes à six éclairs par seconde et des périodes à 16 éclairs par seconde. Chaque période dure dix secondes, et chaque essai est formé de douze périodes. L’expérience a été faite sept fois. Lors des périodes à seize éclairs par seconde, la puissance normale des ondes alpha a été réduite de 24 %, et leur puissance de crête de 28 % par rapport aux périodes sans éclairs. Cette réduction a eu lieu dans toutes les expériences, sauf dans une, où Hammid croyait que personne n’était là pour jouer le rôle de transmetteur. Elle s’est produite aussi lors d’une série où il n’y avait effectivement pas de transmetteur, même si elle fut moindre. Lorsqu’on demande à Hammid de dire pour chaque période si des flashes sont émis ou pas, ses réponses se conforment au hasard, ce qui montre qu’elle n’est pas consciente du phénomène de transmission. Targ et Puthoff font l’hypothèse que c’est l’hémisphère droit du cerveau qui entre en jeu lors des phénomènes de perception extrasensorielle. Pour vérifier, ils firent un contrôle séparé de chaque hémisphère, avec cette fois des séries de vingt périodes de quinze secondes, dix d’entre elles sans éclairs, et dix avec seize éclairs par seconde, toujours réparties au hasard. Là aussi, il y eut réduction de l’activité alpha [10], de 16 % dans l’hémisphère droit, et de seulement 2 % dans l’hémisphère gauche.

Phénomènes parapsychologiques observés sans avoir fait l’objet d’expériences contrôlées

 

Phénomène Sujet(s) Chapitre  Résultats
5 Description de lieux désignés par leurs coordonnées géographiques Ingo Swann 1 « excellent » (p. 71)
6 Perturbation d’appareils Ingo Swann 2 Puthoff est « partagé » (p. 61)
Pat Price 3 « un succès » (p. 100)
Uri Geller 7 Effet inexpliqué (p. 189)
7 Psychokinèse Uri Geller 7 Nombreux mais non contrôlés
Exploration de l’espace Ingo Swann 9 « réussite fort satisfaisante » (p. 251)
Harold Sherman 9 idem

 

5. Description de lieux désignés par leurs coordonnées géographiques

C’est par ce phénomène que s’ouvre « Aux confins de l’esprit ». Le sujet est Ingo Swann, qui s’est spontanément proposé pour mettre en évidence ce phénomène au SRI. Diverses personnes ont choisi des séries de coordonnées géographiques, et Swann devait décrire les lieux correspondants. Page 67 figure un tableau regroupant les résultats d’une série de 10 expériences. Sept d’entre elles sont considérées comme un succès, et seulement une comme un échec. Les autres sont qualifiées de neutres.

Cette étude avec Swann a tellement suscité d’enthousiasme qu’elle a été à l’origine du projet Scanate, pour « Scanning by coordinate », engagé pour trois ans, et précurseur du projet Stargate.

6. Perturbations d’appareils

Lors de la première visite d’Ingo Swann au SRI, Puthoff l’emmène auprès d’un magnétomètre supra-conducteur. Son hypothèse était que « c’était le meilleur système pour étudier les phénomènes impliquant l’influence de l’esprit sur la matière » (p. 54). Le magnétomètre a pour fonction de mesurer des champs magnétiques avec une très grande précision, et pour cela il se trouve à l’intérieur d’un blindage. Un système graphique fait un enregistrement continu des mesures. Swann ignorait tout de cet appareil. Citons Puthoff : « On présenta le dispositif à Ingo et on lui dit que s’il influençait le champ magnétique du magnétomètre, il y aurait une modification du diagramme. Alors, selon sa propre expression, il « concentra son attention » sur l’intérieur du magnétomètre. Cinq secondes plus tard environ, la fréquence de l’oscillation doubla pendant trente secondes. » Plus tard, Ingo arriva à modifier deux autres fois l’enregistrement. Il explique cet exploit par le fait qu’il « voyait » l’intérieur de l’appareil (bien qu’il soit caché et que les plans n’en aient jamais été publiés). L’expérience n’a pas pu être reproduite, suite à une panne du magnétomètre.

Pat Price a également été prié de modifier l’indication d’un magnétomètre. Comme les courants physiologiques à l’intérieur du corps humain étaient susceptibles d’influencer la mesure, il fut installé dans un laboratoire voisin distant de quatre mètres. Il y eut là aussi un enregistrement permanent. Des périodes ON, où Price devait essayer d’influencer le magnétomètre, alternaient aléatoirement avec des périodes OFF de même durée, où Price était inactif. Chaque série comprenait par exemple dix périodes de vingt-cinq secondes. Puthoff conclut que « l’activité observée correspondait de façon extrêmement significative avec les efforts de Pat. » (p. 100).

Enfin, il fut demandé à Uri Geller d’influencer l’indication d’une balance électrique. Sur le plateau était placé un poids d’un gramme sous une boîte et l’ensemble de la balance était recouvert par une cloche de verre. Geller modifia l’indication de la balance par des gains ou des pertes de l’ordre d’un gramme, accompagnés d’un bruit. Targ et Puthoff concluent : « Pour l’instant, nous n’avons aucune hypothèse qui explique comment ces signaux ont pu être réalisés » (p. 189).

7. Psychokinèse

Targ et Puthoff ont été témoins à de multiples reprises de la faculté de Geller de tordre ou casser toutes sortes d’objets métalliques sans les toucher, jusqu’à la quasi-totalité des couverts lors d’un dîner. Il admettent malheureusement ne jamais l’avoir vu le faire, mais toujours avoir observé seulement le résultat.

8. Exploration de l’espace

Targ et Puthoff évoquent cette possibilité dans leur dernier chapitre, « L’utilisation pacifique de l’énergie psi ». Ils racontent comment Ingo Swann et Harold Sherman, un autre « sensitif », ont fait une expérience de vision à distance extrême : ils ont, indépendamment l’un de l’autre, décrit Jupiter avant son exploration par Pioneer 10, et Mercure avant Mariner 10. Targ et Puthoff furent impressionnés par les ressemblances entre les descriptions des deux sujets. Des scientifiques leurs confirmèrent qu’elles n’étaient pas contradictoires avec ce qui était connu de Jupiter et de Mercure. Malheureusement, « aucune évaluation définitive ne pouvait être faite » (p. 251) car les sondes de la NASA n’étaient pas prévues pour relever des informations visuelles du type de celles contenues dans les descriptions.

 


Commentaires d’autres auteurs


 


Les commentaires qui suivent sont issus de « Flim-Flam » de J. Randi et de « The Psychology of the Psychics » de D. Marks. Et un peu de ma réflexion personnelle.

1. Vision à distance

Tout d’abord, on peut tempérer l’enthousiasme suscité par la comparaison entre les dessins réalisés par les sujets et les photographies qui leurs sont accolées dans le livre. N’est-ce pas un cas de validation subjective ? Nulle part on ne nous indique quand ces photos ont été prises. Si elles sont postérieures à l’expérience, elles sont à peu près dénuées de valeur : consciemment ou non, le photographe aura probablement choisi les prises de vues les plus conformes aux dessins…

David Marks et Dick Kamman, le co-auteur de la première édition de « The Psychology of the Psychic », ont répliqué l’expérience de vision à distance. Leur protocole est similaire à celui de Targ et Puthoff. Deux assistants ont repéré cent cibles à moins de trente minutes de voiture. La liste est placée sous surveillance. Trente-cinq expériences ont été menées, avec cinq sujets. Le premier résultat intéressant est que tous les sujets sont contents de leur description au moment du feedback, et les expérimentateurs aussi. Le deuxième fait capital est qu’aucun résultat significativement meilleur que le hasard n’a été obtenu lors de l’évaluation par les juges, ce qui a beaucoup déçu tout le monde.

Pour comprendre la différence entre leurs résultats et ceux de Targ et Puthoff, Marks et Kamman ont demandé à ces derniers de leur procurer une copie de leurs données : les transcriptions et dessins. Targ et Puthoff ont toujours refusé, alors que c’est une demande tout à fait légitime dans le cadre scientifique. Marks et Kamman ont néanmoins pu en obtenir par Arthur Hastings (celles de Pat Price en particulier), qui avait été juge. Ils ont ainsi pu constater plusieurs faits
intéressants :

  • la liste des cibles distribuée aux juges, ou au moins l’une des listes, était ordonnée chronologiquement ;
  • les transcriptions contenaient des « indices » permettant de les ordonner elles aussi chronologiquement. C’est même le cas de celles incluses dans « Aux confins de l’esprit ». Page 105 on peut lire « Ils ne donnent pas l’impression d’être loin. Je dirais que c’est environ — même pas la moitié de la distance de Marina [sic], et cela semble être sur une ligne à peu près dans cette direction. ». Or la Marina est une des cibles. On peut déduire d’une part que la description en question n’est pas celle de la Marina, et d’autre part que la cible en question vient après la Marina dans l’ordre chronologique. L’autre transcription présentée dans l’ouvrage, p. 146, est même datée du « lundi 7 octobre, onze heures », ce qui simplifie encore la tâche ! Marks recense six sortes d’indices présents dans les transcriptions données aux juges, même s’ils ne sont pas tous aussi simples que ceux dont je viens de parler.


Marks et Kamman ont alors procédé à ce qu’ils appellent le jugement à distance : les transcriptions de Targ et Puthoff ont été données à des juges qui ne disposaient d’aucun moyen de savoir à quoi ressemblaient les cibles. Ils ne pouvaient donc dans leurs classement que se baser sur les indices présents dans les transcriptions. Les résultats ont été significativement meilleurs que le hasard, pour certains meilleurs que ceux du SRI. À l’inverse, ils ont expurgé les transcriptions de leurs indices, comme ils l’avaient eux-mêmes fait lors de leur réplication, et cette fois-ci les résultats étaient conformes au hasard [11].

Ceci suffit, me semble-t-il, à expliquer les résultats impressionnants de Targ et Puthoff. Mais leur étude comporte aussi quelques problèmes méthodologiques préjudiciables à un travail scientifique. D’après Randi, dans la série de Pat Price, trois juges avaient obtenu des résultats insatisfaisants, et donc deux autres juges les avaient remplacés, qui ont eu de meilleurs résultats. Dans le même ordre d’idée, les auteurs déclarent page 109 : « vers la fin de 1973, nous avions effectué plus de vingt expériences de vision à distance avec Pat et Ingo ». Le livre n’en mentionne que treize. On peut légitimement se demander ce qu’ont donné les autres. Targ et Puthoff prétendent à plusieurs reprises donner l’intégralité de leurs résultats. On est au contraire en droit de soupçonner une sélection des cas favorables.

On peut également faire quelques remarques au sujet de la procédure d’évaluation. D’abord, l’intervention de juges rend l’interprétation des résultats un peu ambiguë (les éventuels bons résultats sont-ils le fait des juges, capables de faire les bons appariements, ou du sujet, capable de faire une bonne description ?) et complique les choses. Pour remédier à ce problème, Randi indique qu’un psychologue du SRI a suggéré aux auteurs une modification du protocole : plutôt que d’utiliser des juges, on demande directement au sujet de choisir parmi un grand nombre de photographies celle de la cible. Ce protocole, plus simple et plus approprié à l’étude des capacités du sujet à la vision à distance, a été refusé par Targ et Puthoff, arguant que leur protocole était bon. Il est intéressant de noter que quand la procédure alternative suggérée a été testée en 1979 au Metropolitan State College de Denver les résultats ont été négatifs. D’autre part, bien que le calcul des probabilités p utilisé pour déterminer si un résultat est significatif ne soit pas expliqué, on peut conclure facilement qu’il est mené de la manière suivante :

  • pour une série de n expériences, les rangs attribués à chaque description pour une cible donnée sont compris entre 1 et n ;
  • le « score » qui sert au calcul de p, c’est-à-dire la somme des rangs, est compris entre nn2 (chaque description a reçu le pire rang possible) ; (appariements tous justes) et
  • on peut vérifier que la probabilité p affichée est obtenue en considérant que pour chaque cible, toutes les descriptions sont équiprobables avec une probabilité 1/n. C’est la probabilité que le score soit inférieur ou égal à la valeur effectivement obtenue.


Cette façon de procéder peut conduire à mal évaluer la probabilité p. En effet, Targ et Puthoff parlent très fréquemment d’appariements, ce qui amène par exemple à penser que le juge sera conduit, consciemment ou non, à éviter de placer au rang 1 une description déjà classée au premier rang pour une autre cible. Comparer au hasard « pur » n’est donc pas forcément pertinent ici. Notons que ce biais n’apparaît pas dans le protocole alternatif cité plus haut.

Le feedback donné au sujet immédiatement après l’expérience en allant sur les lieux de la cible pose aussi problème, comme le fait remarquer Marks. Il serait logique que le sujet soit tenté, consciemment ou non, de ne pas faire de description rappelant une cible déjà visitée. Cela facilite d’autant la tâche des juges.

Dernière remarque, une méthode simple aurait permis d’améliorer grandement le protocole en éliminant ou en minorant l’effet des biais évoqués : permettre qu’une cible soit tirée plusieurs fois (c’est-à-dire faire un tirage avec remise).

2. Prémonition

Les auteurs consultés n’évoquent pas l’expérience de prémonition menée avec Hella Hammid. Compte tenu de la proximité du protocole avec celui de la vision à distance, on peut se demander dans quelle mesure les remarques faites à ce sujet ne sont pas valables dans le cas présent. D’autre part, Targ et Puthoff ne donnent pas pour cette expérience de tableau récapitulatif des expériences comme pour la vision à distance, avec la probabilité p. Les résultats sont présentés ainsi : « Les trois juges, chacun de leur côté, associèrent les cibles aux réponses sans la moindre erreur. » (p. 159). Si l’on parle d’appariements, et non plus de score comme défini précédemment, la statistique change. PrOZstat [12] permet de calculer que la probabilité d’obtenir quatre appariements justes lors de quatre expériences est de 4,2 %, ce qui est effectivement inférieur à la barre des 5 % utilisée par les auteurs pour décider qu’un événement est significativement trop peu probable par hasard pour avoir une origine parapsychologique.

Dans le cas des expériences avec le générateur aléatoire, il est regrettable de ne pas disposer des résultats chiffrés, à la fois dans le cas des échecs et dans le cas du seul succès, celui d’Elgin. On peut se demander par exemple si l’ensemble des cent séries de 25 tirages d’Elgin est significativement meilleur que le hasard ou s’il s’agit d’une ou plusieurs séries parmi les cent (mais alors combien ?). Dans ce deuxième cadre, PrOZstat nous apprend que, toujours avec le critère des 5 %, une série « extraordinaire » est une série qui comporte au moins onze bonnes réponses sur vingt-cinq, et qu’en faisant cent séries de vingt-cinq expériences, on peut s’attendre à en obtenir six de significativement meilleures que le hasard, ce qui assez important et qui minimiserait alors la performance d’Elgin [13]. Le fait que l’expérience ait été négative dans le cas du double enregistrement, cumulé à ce « flou » concernant les résultats et leur traitement, m’incite à une certaine circonspection concernant cette prétention parapsychologique.

3. Vision à travers des parois opaques

Du fait de la réputation mondiale d’Uri Geller, ces expériences ont fait l’objet de commentaires abondants. James Randi, en sa qualité de prestidigitateur a été un de leurs critiques les plus acerbes.

Considérons d’abord l’expérience du dé. Il en existe un film, ce qui devrait empêcher bien des controverses. Malheureusement, d’après Randi, qui tient les informations qui suivent du caméraman, Zev Pressman, ce qu’on voit sur ce film est une reconstitution de l’expérience, même si le commentaire affirme le contraire. Il existe par ailleurs environ quatorze heures de films de vraies expériences, jamais rendus publics. Pressman contredit l’affirmation de Targ qui prétend que Geller n’a pas touché à la boîte (que Targ lui-même a récusée par la suite) : il l’aurait secouée et tenue en mains pour se concentrer. Une fois au moins, c’est même lui qui l’a ouverte. Targ et Puthoff prétendent que les films ont été étudiés par trois magiciens, mais Marks révèle qu’il s’agit en fait de Targ lui-même, d’Hastings, le consultant du SRI qui avait déjà servi de juge dans la vision à distance, et de Milbourne Christopher, un vrai prestidigitateur (par ailleurs sceptique). Ce dernier a d’ailleurs conclu que Geller en était un aussi (« nothing more than a trickster », p. 174), que le même résultat était à la portée de tout bon magicien, et que les expérimentateurs du SRI avaient été dupés.

Dans l’expérience des dessins aussi, des problèmes méthodologiques sont en cause. D’abord, sur treize essais, Targ et Puthoff affirment que Geller a passé trois fois. Randi et Marks, en s’appuyant sur un texte de Targ et Puthoff eux-mêmes [14], au contraire, recensent sept cas où Geller a choisi de passer, dont quatre où il avait déjà fait des dessins avant de prendre cette décision. Sur ces quatre cas, deux sont comptabilisés comme des succès. C’est une entorse grave de la part des auteurs envers les règles qu’ils avaient eux-mêmes instituées : ces essais n’auraient pas dû être pris en compte, à l’instar de l’essai où Geller a passé et qui s’est révélé un échec. Il y a donc sélection des cas favorables, ce dont Targ et Puthoff se sont toujours défendus. Des personnels du laboratoire racontent même des amas de dessins (des dizaines, voire des centaines) dans la salle où se trouvait Geller. Que sont devenus ces dessins, et pourquoi ne sont-ils pas mentionnés ? Même dans le cas des données publiées, une sélection a été faite au moins dans un cas où plusieurs dessins avaient été faits pour la même cible, et seulement le meilleur publié. Peut-être encore plus grave, des tricheries ont été possibles. Concernant les lieux d’abord, où Marks et Kamman se sont rendus :

  • le mur séparant la pièce contenant la cible (dans la plupart des expériences) de la pièce où était enfermé Geller a un trou de trois à quatre pouces de diamètre destiné à faire passer des câbles. Ce trou n’était bouché que par du coton ;
  • ce même mur est percé d’une glace sans tain, dont Targ et Puthoff prétendent qu’elle était cachée par une planche durant les expériences ;
  • contrairement aux affirmations de Targ et Puthoff, l’interphone fonctionne dans les deux sens.


Shipi Shtrang, un des accolytes israëliens de Geller, entraîné à lui faire passer des informations dans certains tours de ses spectacles de cabaret, était souvent présent sur les lieux de l’expérience ou à proximité immédiate. Enfin, Jean Mayo, présentée comme peintre professionnelle dans « Aux confins de l’esprit », est une admiratrice (« devotee » sous la plume de Randi) de Geller. Certaines de ses conversations avec Targ pendant qu’elle dessinait la cible ont probablement pu être entendues par Geller à travers le mur.

Cette accumulation de soupçons justifiés est accablante. Elle a entre autres été développée et argumentée dans les deux ouvrages qui me servent de références principales. Celui de Randi date de 1980, celui de Marks a été publié une première fois en 1974, puis une deuxième en 2000. Le temps écoulé a laissé tout loisir à Targ et Puthoff de produire toute réfutation qu’ils songeraient utile, en particulier entre les deux éditions de « The psychology of the psychic ». D’après Marks et les quelques recherches que j’ai pu effectuer, ils ne l’ont pas fait (ou pas suffisamment ouvertement), ce qui laisse malheureusement supposer que ces négligences ont été commises, ou au moins certaines d’entre elles.

4. Corrélation entre états cérébraux

L’article de Nature est beaucoup plus précis au sujet de ces expériences qu’« Aux confins de l’esprit ». On y apprend que l’expérience n’a pas été menée seulement avec Hammid comme sujet, mais aussi avec cinq autres personnes, et qu’Hammid a été la seule à obtenir des résultats qualifiés de positifs. Les transmetteurs ne sont pas nommés, alors que la capacité à bien transmettre aurait pu être un paramètre intéressant à étudier.

L’article est également plus clair sur le but de l’expérience que le livre : Targ et Puthoff cherchaient à mettre en évidence une synchronisation de l’EEG du sujet sur celui du transmetteur, et donc sur les flashes, c’est-à-dire des pics de même fréquence que les flashes. Aucun des sujets n’a donné lieu à ce phénomène. L’expérience a donc donné un résultat globalement négatif [15]. Il est aussi regrettable que l’article ne précise pas mieux ce qu’est exactement la grandeur qui est modifiée : le texte parle de puissance, mais l’EEG est une mesure de tension. S’agit-il alors de valeur efficace ? La figure de l’article porte un potentiel en ordonnée. On est donc tenté de penser qu’il s’agit d’amplitude, comme la légende l’indique d’ailleurs. Aucune unité n’est spécifiée pour nous aider.

N’étant pas du tout compétente dans le domaine de l’EEG, il m’est difficile de conclure quant à la validité des résultats et à leur signification. Mais Randi a recueilli le témoignage de Charles Rebert, le spécialiste en EEG du SRI, qui a supervisé son utilisation dans les expériences de Targ et Puthoff. Il avait demandé à ces derniers de ne pas inclure les expériences impliquant l’EEG dans l’article de Nature. Il estime que le fait que seul un sujet sur six ait eu un signal différent, mais pas significatif en soi, ne suffit pas à rendre l’expérience concluante. Le fait que Targ et Puthoff aient publié cette partie de l’article malgré ses importantes réserves l’a vivement contrarié.

5. Description de lieux désignés par leurs coordonnées géographiques

Deux points sur les dix du tableau p. 67 sont de manière évidente dans l’océan (45°N, 150°O et 30°S, 0°), ce qui procure deux succès faciles. On peut citer comme autres exemples de réussite (d’après les auteurs) tirés du tableau de la page 67 :

  • le quatrième point : 64°N, 19°O. Swann dit « Volcan au sud-ouest. Je pense que je suis au-dessus de l’océan. » Il s’agit du sud de l’Islande, à environ 140 kilomètres au nord de l’océan. Comme un degré représente une centaine de kilomètres, Swann ne peut pas être au-dessus de l’océan. Le mont Hekla, le volcan correspondant le mieux aux dires de Swann ne se trouve pas au sud-ouest, mais plein ouest. Et au nord-ouest si Swann est effectivement au-dessus de l’océan. Ses coordonnées sont 63,98°N, 19,7°O.
  • le dixième point : 28°S, 137°E. Swann répond « Îles, masse de terre à l’est, ouest. Pleine mer, nuit. » Dire qu’il fait nuit à la longitude de 137°E lorsqu’on se trouve à Menlo Park (ville abritant le SRI) en Californie, c’est-à-dire à la longitude de 122°9’O, ne relève pas de l’exploit, pour peu qu’il y fasse jour. Le lieu de coordonnées 28°S, 137°E se trouve dans le lac Eyre nord, en Australie. Ce lac est un lac salé, de 144 kilomètres dans sa longueur (direction Nord-Sud) par 65 kilomètres dans sa largeur (direction Est-Ouest). Il ne contient pas d’île pour la bonne raison qu’il est à sec en temps normal, se situant dans la partie la plus aride de l’Australie. Il ne se remplit qu’une fois tous les quinze à vingt ans lors de pluies importantes. On peut donc difficilement parler de pleine mer, même s’il est recouvert d’une pellicule de sel. Swann a raison pour les masses de terre. Mais peut-on parler de succès comme le font Targ et Puthoff ?


Surtout, le fait que Swann se propose lui-même avec insistance pour cette activité, dont il fixe lui-même le protocole, suffit à rendre suspecte cette « expérience ». Est-il si difficile d’avoir une idée (même vague) du paysage d’un lieu désigné par des coordonnées qui ne sont pas tirées au hasard, mais choisies par des gens ? Il suffit d’un peu d’entraînement… D’autant qu’aucune précision n’avait été définie à l’avance sur la qualité des descriptions et sur la taille de la zone désignée par les coordonnées.

6. Perturbations d’appareils

La première de ces expériences, celle d’Ingo Swann, a fait l’objet d’un commentaire de Randi. Ce dernier a contacté Arthur Hebard, le constructeur du magnétomètre, qui était présent durant l’expérience. Il ignorait avoir été cité dans « Aux confins de l’esprit », et en fut irrité. En effet, il n’a pas été consulté sur l’interprétation physique du phénomène observé. Contrairement à ce qu’affirment Targ et Puthoff dans un passage jouant implicitement sur sa propre caution, il dit disposer de plusieurs autres interprétations qu’un phénomène paranormal, par exemple un problème avec l’hélium servant à refroidir le magnétomètre, dont le réseau de distribution était utilisé simultanément par plusieurs laboratoires au SRI. Un tel problème avait déjà produit des perturbations similaires par le passé. Plutôt que cinq secondes, c’est dix à quinze minutes après le début de l’expérience que la modification de la courbe enregistrée est apparue. Il ajoute qu’un changement dans l’enregistrement n’implique pas forcément un changement dans le champ magnétique lui-même, contrairement aux dires de Targ et Puthoff (p. 57). Il estime enfin que la non-reproductibilité du phénomène le rend suspect.

Du point de vue méthodologique maintenant, Randi fait observer que Swann n’a jamais dit quelle modification il entendait provoquer : n’importe quel changement de l’enregistrement aurait ainsi pu être interprété comme un bon résultat. D’autre part, ce que les auteurs présentent comme un « blanc » (c’est-à-dire la vérification que lorsque Swann ne fait rien, la courbe redevient normale) est en fait fortuit : après la fin de l’expérience proprement dite, alors que Swann ne regarde plus l’appareil, la courbe redevient normale. Rien n’est volontaire ici.

Enfin, concernant la description du magnétomètre par Swann, qui devait tout en ignorer, Hebard parle de vocabulaire « poétique » plutôt que de description, et précise que ce magnétomètre n’était qu’une réplique améliorée de celui d’Harvard, dont les plans ont été abondamment diffusés. Que penser des propos que Puthoff tenait encore en 1996 [16] disant que la description de Swann était « un facsimilé raisonnable de sa construction plutôt complexe (et jusque là non publiée) » (« reasonable facsimile of its rather complex (and heretofore unpublished) construction »).

Concernant l’expérience de Pat Price avec un autre magnétomètre, on ne dispose d’aucun résultat, à part une courbe présentant seulement trois périodes ON. Durant ces périodes, il y a effectivement des pics dans le signal. Mais on peut voir aussi des modifications du signal pendant trois autres périodes, de calibration ou OFF.

Enfin, dans l’expérience de Geller non plus, on ne dispose pas d’informations nécessaires à l’appréciation de l’effet paranormal évoqué, la principale d’entre elles étant la résolution de la balance en question. Il est en effet tout à fait différent de faire varier d’un gramme l’indication d’une balance de cuisine ou d’une balance au microgramme. On peut toutefois noter qu’on aurait pu s’attendre à un effet moins ténu de la part de quelqu’un qui prétend avoir des pouvoirs autrement plus impressionnants.

7. Psychokinèse

Marks, qui a eu l’occasion de voir plusieurs fois Geller lors de ses représentations, explique que la principale technique utilisée pour le tordage d’objets métalliques est la misdirection : Geller induit les spectateurs à regarder ailleurs lorsqu’il tord l’objet, par la force de ses mains et non de sa pensée. Souvent, lorsqu’il prétend plier un objet, ce dernier est déjà déformé. Il s’agit alors de prestidigitation, pas de parapsychologie. De nombreux ouvrages ont été écrits à ce sujet, dont « Magic of Uri Geller », de James Randi.

8. Exploration de l’espace

Randi a recensé les 65 allégations de Swann et Sherman à propos de Jupiter. Il a ensuite demandé à Isaac Asimov, scientifique et écrivain, de les commenter au vu des connaissances scientifiques. Les résultats sont les suivants :

 

Vrai, mais présent dans les livres de référence 11
b Vrai, mais évident 7
c Vrai, absent des livres de référence 1
d Probable 5
e Invérifiable car trop vague ou lacunaire 9
f Probablement faux 2
g Faux 30
Total 65

 

Des catégories a et b, on peut citer « planète rayée », « jaune », « nombreux astéroïdes entre Mars et Jupiter »… Mais de la catégorie g, on peut aussi citer « une chaîne de montagne haute de trente mille pieds », ce qui est peu probable pour une planète gazeuse…

De ce décompte, il ressort que vingt-quatre des soixante-cinq propositions sont valables, ce qui est une estimation plutôt généreuse. Cela représente un taux de succès de 37 %, dont beaucoup facilement acquis. Swann ne devait pas considérer ces résultats comme très bons, puisqu’il a prétendu plus tard s’être trompé de système solaire, à cause de la rapidité du voyage sensoriel.

La coïncidence entre les descriptions de Swann et Sherman, qui avait beaucoup impressionné Targ et Puthoff, pourrait s’expliquer simplement par une visite rendue par Swann à Sherman quelques semaines avant l’expérience.

 


Conclusion



Cet examen des différentes expériences menées au SRI nous incite à quelques réflexions concernant les précautions méthodologiques.

  • Page 44, on peut lire « nous apprîmes que demander à un sujet d’effectuer notre expérience plutôt que la sienne, c’était un peu comme exiger d’un pianiste se présentant à une audition de jouer de la flûte ». Même si la comparaison est forte, elle est fallacieuse. Abandonner la mise au point du protocole au sujet, c’est abdiquer toute possibilité de conclure valablement en risquant de se faire mener par le bout du nez.
  • En tout état de cause, lors de l’élaboration d’un protocole expérimental, il faut absolument définir à l’avance ce qu’on considérera comme un résultat positif, et ne pas se jeter sur tout phénomène inattendu en le prenant pour une manifestation d’un quelconque pouvoir. On évite ainsi le phénomène très répandu de validation subjective.
  • Lorsqu’un protocole est choisi, on doit s’y tenir. Targ et Puthoff ont trop souvent permis des variations dans la procédure, dont certaines consistaient en des assouplissements du contrôle (comme par exemple avec Geller). Pour étudier un paramètre, la moindre des choses est de ne pas en faire varier d’autres dans une même expérience.
  • Dans le domaine de la parapsychologie comme dans tout autre, la charge de la preuve revient à celui qui affirme. On ne peut être d’accord avec Targ et Puthoff lorsqu’ils affirment, page 222, « à l’époque des ondes gravitationnelles, de la propagation à très basse fréquence, et de la « non-séparabilité quantique », la charge de la preuve visant à exclure la possibilité qu’il existe une fonction paranormale incombe maintenant aux sceptiques. » Démontrer l’inexistence de quelque chose, d’une fonction paranormale comme du reste, est logiquement impossible.
  • Ils disent aussi page 226 « c’est une faute logique que de dire que si quelque chose peut être fait par la prestidigitation, cela a été fait ainsi. » Ils reprochent à Randi d’avoir commis cette faute. Randi, comme tous les sceptiques, ne prétend pas cela. Il dit simplement, par un principe d’économie, ou par application du rasoir d’Occam, comme on voudra, que si quelque chose peut être obtenu ou expliqué par un moyen normal, il n’y a nul besoin de recourir à un hypothétique effet paranormal.
  • Lorsqu’on prétend mener une étude scientifique, on doit impérativement mettre ses données à disposition des autres équipes scientifiques souhaitant répliquer les expériences. Certes, on s’expose à ce que leur interprétation en soit différente, voire à ce qu’ils contredisent les conclusions obtenues. Mais c’est comme cela que la science avance.


On peut arguer que Targ et Puthoff ne sont pas bien méchants, qu’au pire ils se sont fait berner, qu’au mieux ils ont été témoins d’authentiques phénomènes paranormaux. Randi en parle d’ailleurs comme des « Laurel et Hardy du psy », ce qui n’est certes pas flatteur, mais presque sympathique. À cela je répondrai trois choses :

  • il est tout de même dommage qu’on ne puisse pas trancher entre ces deux hypothèses à la lumière des comptes rendus qu’ils ont faits, et qu’encore une fois, ils prétendent scientifiques ;
  • la publication de leur article dans un journal aussi prestigieux que Nature, même si elle était accompagnée d’un éditorial sceptique, leur a donné une visibilité et une crédibilité en partie imméritée. Leurs expériences restent des références aujourd’hui malgré leur piètre qualité ;
  • le livre se clôt sur un chapitre intitulé « Utilisation pacifique de l’énergie psi », qui évoque le diagnostic médical par perception extrasensorielle. La fille de Russell Targ, Elizabeth, pratique d’ailleurs la « guérison quantique » à distance. La dérive me semble facile et dangereuse.

 

 


Épilogue



Sous la direction d’Edwin May le programme de Targ et Puthoff s’est poursuivi sans eux au SRI jusqu’en 1989. Le partenariat avec la CIA et le Département de la Défense a donné lieu à d’importants investissements financiers, même s’ils ont fluctué en fonction du temps. En 1989, Stargate a quitté le SRI pour le SAIC (Palo Alto offices of Science Applications International Corporation). En 1995, la CIA, qui avait abandonné le programme avant de se le voir reconfier plus tard, conclut que « la vision à distance n’a pas montré de valeur dans les opérations de renseignement » ( « Remote viewing, as exemplified by the efforts in the current program, has not been shown to have value in intelligence operations ») et met fin au projet.

Targ et Puthoff avaient quitté le SRI depuis longtemps, Targ dès 1982, alors que la qualité de son travail était mise en cause par le Département de la Défense, et Puthoff en 1985, alors que la réputation de son équipe du SRI était sur le déclin.

Cécile Ursini

 


Références

 

  • R. Targ et H. Puthoff, « Aux confins de l’esprit : une étude expérimentale sur les phénomènes paranormaux », Albin Michel, 1978.

 

  • G. Majax, « Le grand bluff », Fernand Nathan, 1978.

 

  • D. Marks, « The Psychology of the Psychic », 2e édition, Prometheus Books, 2000.

 

  • J. Randi, « Flim-flam ! The Truth about Unicorns, Parapsychology, and Other Delusions », Lippincott & Crowell, 1980.

 

  • R. Targ et H. Puthoff, « Information Transmission Under Conditions of Sensory Shielding »Nature, Vol. 251, octobre 1974, p. 602-607.

 

  • H. Puthoff, CIA-Initiated Remote Viewing At Stanford Research Institute, 1996.

 

 


Notes



[1] « Information Transmission Under Conditions of Sensory Shielding »Nature, Vol. 251, octobre 1974, p. 602-607.
[2] Voir par exemple « Dyadic Correlations between Brain Functionnal States : Present Facts and Future Perspectives », J. Wackermann, Mind and Matter, Vol. 2(1), 2004, p. 105-122.
[3] Ce n’est pas toujours la même personne qui établit cette liste.
[4] Là aussi l’identité des juges, comme leur nombre, varie d’une série à l’autre.
[5] On reviendra sur ce calcul plus loin.
[6] Il semble qu’il s’agisse d’agents de la CIA venus visiter le laboratoire, d’après CIA-Initiated Remote Viewing At Stanford Research Institute, H. Puthoff, 1996.
[7] Geller a été une célébrité des années 70 et 80 grâce à ses spectacles de parapsychologie. Bien qu’il n’en fasse souvent pas mention, il est également prestidigitateur. Gérard Majax dit de lui : « Geller a appris la plupart de ses tours en fréquentant assidûment le cercle de prestidigitation de Tel Aviv ! » (Le grand bluff, Fernand Nathan, 1978.
[8] Voir par exemple Wackermann, op. cit.
[9] Peut-être la même pièce qui a servi pour les expériences avec Geller.
[10] Le texte n’indique pas ici de quelle grandeur précise on parle.
[11] Targ et Puthoff prétendent avoir donné aux juges des transcriptions éditées, sans indices, ce qui est infirmé par celles de Hastings.
[12] PrOZstat est le logiciel en ligne de calcul statistique de l’Observatoire zététique.
[13] Mais on pourrait alors se demander comment les autres sujets ont eu des résultats négatifs…
[14] « The record : eight days with Uri Geller », H. E. Puthoff et R. Targ dans The Geller Papers, A. C. Panati ed., Houghton Mifflin, Boston, 1976.
[15] Il est à noter que des expériences dont le but était de montrer cette synchronisation avaient déjà été menées avant celles du SRI et qu’il y en a encore, trente ans après, qui sont réalisées. La plupart sont négatives.
[16] Puthoff, op. cit.

 


Targ et Puthof – Aux confins de l’esprit